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La prévention ne doit pas rester le parent pauvre de la santé

Dans un ouvrage stimulant, l’épidémiologiste Antoine Flahault passe en revue les principales stratégies en matière de santé. Et livre quelques pistes. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Le Point.

La prévention n’est pas à un paradoxe près ! En effet, elle est à l’origine de l’essentiel de l’amélioration de la santé humaine, qu’il s’agisse du lavage des mains, de la pasteurisation, de la vaccination, de l’adduction d’eau potable, de l’électricité, de la qualité du bâti, de la chaîne du froid, etc. Et pourtant, lorsqu’il est question de faire les comptes, les données manquent, les incitations peuvent être contradictoires, il n’existe pas de ligne prévention dans les comptes publics. Comme l’écrit l’expert dans ce domaine Jean-Marie Fessler, « la réalité de l’économie de la prévention est encore mince ».

Il n’empêche que son efficacité est bien réelle, semée de gestes, techniques, tests, habitudes qui améliorent la santé, et l’épidémiologiste Antoine Flahault est bien décidé à nous en convaincre. En départageant le vrai du faux sur un mode proche du roman, il arrive à nous faire « avaler » des pilules préventives, les unes après les autres, grâce à des personnages fictionnels dont on veut suivre les aventures au fil des pages.

La réalité de l’efficacité de la prévention en santé est particulièrement visible au Japon. Ce pays compte « deux fois plus de centenaires par habitant que la France ou la Suisse ». Or, le Japon ne brille ni par ses amortisseurs sociaux – qui ne sont pas meilleurs que ceux de la plupart des pays européens – ni par un niveau d’inégalités sociales plutôt supérieures. Cela fait dire à l’auteur qu’il faut chercher les performances santé des Japonais dans leurs comportements, à savoir leurs habitudes alimentaires, leur consommation d’alcool, leur activité physique, leur consommation de cigarettes et leur niveau d’intégration dans la société. Sur tous ces aspects, les Japonais se distinguent par une alimentation pauvre en sucres mais riche en poissons, légumes, etc. Ils consomment peu d’alcool, se sont tournés massivement vers des alternatives à la cigarette traditionnelle, incorporent une activité physique à leur quotidien (en particulier la marche) et restent partie prenante de la société grâce au travail, qu’ils peuvent poursuivre jusqu’à l’âge de 80 ans dans la fonction publique, et les nombreux groupes d’entraide auxquels ils participent.

Les substituts, une arme précieuse

Voilà d’excellentes pistes de prévention, mais il ne suffit pas de savoir pour pouvoir et choisir. Or, tel est le défi que se donne Flahault, à savoir passer en revue les stratégies de prévention les plus importantes en dressant un bilan de leur efficacité afin de choisir les meilleures alternatives. Le tout en s’attachant à les communiquer de la manière la plus attrayante possible pour qu’il y ait passage à l’action.

Cet aspect est crucial si on s’attache à l’efficacité d’une politique publique. En effet, nombre de mesures de prévention échouent parce qu’elles adoptent une position moralisatrice et prônent austérité, abstinence, rigueur ou sacrifice à des personnes peu enclines à ces approches. Elles visent l’élimination pure et simple du comportement sans comprendre qu’en l’absence de changement réel dans l’attente d’une personne, celle-ci cherchera par des manières détournées à satisfaire ses envies (marché noir et parallèle). C’est pourquoi en matière de prévention – comme le souligne Flahault à de multiples reprises –, les substituts sont une arme précieuse pour améliorer la santé. Cela concerne aussi bien le dépistage du cancer du côlon, qui offre une panoplie de techniques différentes (Hémoccult, scanner ou coloscopie), que la protection contre les maladies sexuellement transmissibles, la lutte contre les virus respiratoires (en améliorant la qualité de l’air) ou encore la consommation de cigarettes.

L’épidémiologiste consacre à celles-ci un grand nombre de pages. Il part du constat de la grande nocivité des cigarettes classiques, à la différence de leurs substituts électroniques, à propos desquels l’auteur affirme : « Personne ne peut soutenir que les cigarettes électroniques puissent un jour égaler cette sinistre performance des cigarettes » qui sont pourtant utilisées « dans le cadre strict des préconisations de leur fabricant ». En fervent défenseur de stratégies de réduction de risques, Antoine Flahault préconise avec fermeté d’adopter le positionnement britannique, qui consiste à favoriser les produits du tabac sans combustion.

Gestion de l’anxiété

Autre sujet prioritaire, du fait de la pandémie que nous avons vécue, l’amélioration de la qualité de l’air. L’apparition régulière de nouveaux variants Covid et le risque de nouvelles pandémies plaident pour l’utilisation plus massive de purificateurs, de rayons ultraviolets de type C, de ventilations mécaniques. Le traitement de l’air devient un enjeu, comme le fut celui du traitement de l’eau et la généralisation des réseaux d’assainissement. Mieux traiter l’air permet de réduire les risques sans imposer la multiplication de gestes barrières rendant la vie plus complexe. Reste à réaliser les investissements nécessaires.

Au fil des pages, on découvre des personnages attachants qui, de la grossesse au grand âge, rencontrent des problèmes physiques et mentaux au sujet desquels Antoine Flahault apporte connaissances, avis et conseils. Ce dernier n’oublie pas que la prévention santé est une valeur parmi d’autres, qui mérite investissements et aménagements, mais doit s’insérer dans un réseau de valeurs plus large. Il ne faut pas oublier la gestion de l’anxiété qu’elle peut susciter, la compatibilité avec nos libertés individuelles et l’acceptation sociale. Quant à l’économie de la prévention, elle reste un champ d’investigation trop peu développé.

Prévenez-moi ! – Une meilleure santé à tout âge, du professeur Antoine Flahault (Robert Laffont, 352 p., 20,90 euros).

Cécile Philippe

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