Laissez passer le textile chinois! Il ne menace pas l’Europe
Article publié par l’Agefi le 7 avril 2005.
L’organisation patronale de l’industrie textile européenne, Euratex, réclame des mesures de protection contre l’envolée des exportations chinoises. Elles auraient progressé de 46,5% en valeur et de 625% en volume entre janvier 2004 et janvier 2005 sur les douze marchés les plus exposés, selon le dernier communiqué d’Euratex. William Lakin, son président, a ainsi commenté la démarche de son organisation auprès de la Commission européenne: «Il est temps de limiter l’appétit apparemment vorace des exportateurs chinois pour le marché européen.» A ce propos, le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, a aussi appelé la Chine à «la modération et la prudence».
Pourquoi devrions-nous nous indigner contre «l’invasion» chinoise? Pour deux raisons: elle menacerait les emplois de l’industrie textile européenne et aurait un impact négatif sur la prospérité de l’ensemble des citoyens européens. C’est ce que suggère Francesco Marchi, directeur des affaires économiques d’Euratex, en affirmant que «l’industrie européenne du textile et du vêtement contribue largement au PIB des vingt-cinq pays de l’Union». Autrement dit, toute menace contre la santé des entreprises représentées par Euratex est une menace contre la prospérité de tous les Européens.
Cependant, un examen approfondi du problème révèle qu’Euratex ne défend personne d’autre que ses membres. Tout d’abord, il faut dire et redire ce qui devrait apparaître comme une évidence. Si des entreprises chinoises gagnent des parts de marché sur leurs concurrentes européennes, c’est parce que les consommateurs européens tendent à préférer leur textile, notamment grâce à des prix bien inférieurs. Les mesures de protection, en privant les consommateurs de ce choix, vont directement à l’encontre de leurs intérêts. Or, chaque citoyen européen est un consommateur de textile, évidemment.
Par ailleurs, l’argument selon lequel la concurrence chinoise menacerait le PIB de l’Europe en mettant à mal la contribution que l’industrie textile européenne y fait, est totalement erroné. En effet, les revenus que perdrait l’industrie textile européenne doivent être gagnés par d’autres industries européennes. D’une part, en achetant du textile moins cher en Chine, les consommateurs peuvent acheter d’autres biens produits en Europe. C’est une source additionnelle de revenu pour d’autres industries européennes. D’autre part, en dernier ressort, il faut bien que les importations de textile chinois en Europe soient payées grâce à des exportations en provenance d’Europe. Sinon, à quoi serviraient les euros «exportés» en important le textile? En d’autres termes, la baisse des revenus et de l’emploi dans le secteur du textile a aussi pour contrepartie une hausse des revenus et de l’emploi dans les industries exportatrices.
Si les restrictions aux importations chinoises étaient bénéfiques aux Européens, pourquoi des restrictions similaires ne le seraient-elles pas entre Européens, entre pays, entre régions et finalement entre individus? Nous n’essayons pas de produire nous-mêmes tout ce dont nous avons besoin parce qu’en nous spécialisant dans la production et l’exportation de biens pour lesquelles nous sommes relativement plus habiles, nous pouvons importer et profiter d’une abondance de commodités que nous ne pourrions obtenir autrement. Le textile chinois ne représente donc pas une menace pour la prospérité en Europe et l’amélioration de nos niveaux de vie dépend de notre ouverture sur le monde.
Xavier Méra est chercheur associé à l’Institut Economique Molinari, Bruxelles.