Le procès antitrust de Microsoft est sans fondement
Article publié par Les Échos le 9 mai 2005.
La société Microsoft n’en finit pas de subir les réprimandes de la Commission européenne. En mars 2004, elle a été condamnée pour violation de la législation antitrust à verser une amende record de 497 millions d’euros, à vendre une version de son système d’exploitation sans son lecteur multimédia et à livrer des informations à ses concurrents pour faciliter l’interopérabilité entre leurs programmes et son système d’exploitation Windows. Le 23 mars dernier, la Commission a fait savoir que, selon elle, Microsoft tentait d’entraver le travail du mandataire chargé de vérifier que les sanctions sont effectivement appliquées. C’est principalement la question de l’accès aux informations pour les concurrents qui pose problème. La semaine précédente, l’exécutif européen déclarait en effet que Microsoft n’avait « pas mis en oeuvre les mesures correctives en matière d’interopérabilité ».
La « position dominante » de Microsoft sur le marché des systèmes d’exploitation lui donnerait un avantage déloyal sur celui des logiciels. En effet, ses développeurs sont les mieux placés pour résoudre les problèmes d’interopérabilité entre leurs logiciels et le système d’exploitation. Les concurrents ne bénéficient évidemment pas des mêmes informations. Microsoft userait donc de son quasi-monopole sur le marché des systèmes d’exploitation pour monopoliser le marché des logiciels. La Commission européenne met en avant l’intérêt des consommateurs comme raison d’être du procès Microsoft. Les consommateurs paieraient l’addition parce que la position dominante ainsi obtenue permettrait à Microsoft de vendre des produits de qualité inférieure en moindre quantité et à des prix plus élevés qu’autrement.
La réalité est toute différente. Les concurrents de Microsoft sont avant tout des bénéficiaires externes du succès de Windows. En développant un système d’exploitation intégré et facile à l’emploi, Microsoft a répondu au besoin de standardisation nécessaire au développement des technologies de l’information et de la communication. Cette approche a permis à des milliers de fabricants de logiciels de développer des applications qu’ils n’auraient pas pu vendre autrement. En tant que consommateurs, nous pouvons observer tous les jours les conséquences de ce processus de marché : des produits de meilleure qualité répondant aux besoins professionnels ou récréatifs les plus divers et des prix en diminution dans tout le secteur de l’informatique. Ce développement heureux n’a pas eu lieu malgré les efforts de Microsoft. Le géant de l’informatique en est au contraire le principal initiateur.
Etre à la fois créateur du système d’exploitation commun et développeur de logiciels ne confère-t-il pas toutefois à Microsoft un avantage déloyal ? L’avantage qu’a Microsoft en termes d’information vis-à-vis de ses concurrents est justement ce qui rend ses logiciels préférables du point de vue des consommateurs. Microsoft pourrait bien avoir des parts de marché supérieures de ce fait, mais c’est parce que les consommateurs les lui donnent, révélant ainsi leur opinion quant à la qualité des produits Microsoft. C’est pourquoi la « position dominante » d’une firme n’est pas une preuve qu’elle dessert les consommateurs.
Si cette inégalité face à l’information justifie le succès des logiciels de Microsoft, les consommateurs ne s’en trouveront-ils pas quand même mieux si l’on force Microsoft à partager avec les firmes concurrentes ses précieuses connaissances sur Windows ? Les censeurs de Microsoft ne semblent pas réaliser que la recherche de cet avantage était une des raisons majeures de développer et d’améliorer le système d’exploitation à l’origine. Aujourd’hui, elle reste une puissante incitation pour continuer d’améliorer Windows et les diverses applications dont le consommateur est friand. Interdire à Microsoft de développer et d’entretenir cet avantage revient à priver cette firme des fruits de ses investissements.
En forçant la société Microsoft à divulguer des informations qu’elle souhaite garder secrètes, on permet aux concurrents de bénéficier des efforts qu’elle a financés. Les conséquences inévitables d’une telle expropriation sont que ni les bénéficiaires de ce coup de force ni Microsoft n’ont autant d’incitations à innover et à investir qu’ils n’en auraient si les autorités européennes retenaient leurs ardeurs interventionnistes. Si l’investissement et l’innovation payent moins, la production sera relativement restreinte, de moindre qualité et moins abordable pour le consommateur
Xavier Méra est chercheur associé à l’Institut économique Molinari