Plutôt qu’aux profits des pétroliers, attaquons-nous aux taxes sur le pétrole!
Article publié par Le Temps le 3 novembre 2005 et dans Le Québécois Libre le 15 décembre 2005.
Face au mécontentement populaire et catégoriel suscité par l’envolée du prix de l’essence à la pompe, du gaz et de l’électricité domestiques depuis 2002, les gouvernements de nombreux pays tels que les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Belgique, la France, etc., ont annoncé des concessions, des promesses de subventions (les chèques énergie) et de façon récurrente, ils menacent de taxer les profits des pétroliers. Déjà Jimmy Carter en 1977 affirmait que le meilleur moyen de maintenir des prix bas était de baisser les profits de ces compagnies. Au début de l’année 2005, Tony Woodley, le chef du syndicat britannique T & G, proposait d’instaurer une taxe exceptionnelle sur les profits à l’instar du ministre français de l’économie Thierry Breton qui le 9 septembre dernier menaçait les pétroliers d’une taxe exceptionnelle.
Les profits perçus par les groupes pétroliers en 2004 ont certes atteint des niveaux record, environ 65 milliards d’euros (85 milliards de dollars). Après ExxonMobil (25,33 milliards de dollars), Shell (18,5 milliards), BP (16,2 milliards) et ChevronTexaco (13,3 milliards), la société française Total a elle aussi dégagé des profits à deux chiffres (en milliards de dollars), soit 11,2 milliards en 2004 (9 milliards d’euros). Aussi élevés que soient ces profits, aucun gouvernement ne peut cependant guère résoudre le problème du pouvoir d’achat des individus et de la hausse du prix de l’énergie en instaurant une nouvelle taxe sur les profits réalisés par les producteurs de pétrole. Une telle décision au contraire aggraverait le problème en renchérissant encore plus le prix de l’or noir.
La tendance qui consiste à vouloir taxer les profits pétroliers est surprenante dans la mesure où lors des deux dernières décennies la profitabilité des compagnies de pétrole s’est située en dessous de la moyenne, si on les compare avec les autres firmes de l’indice Standard & Poors 500. Si les compagnies pétrolières détenaient le pouvoir de marché que les critiques lui donnent il serait difficile de comprendre comment les dirigeants ont permis à leur compagnie de réaliser des performances aussi faibles.
La taxation des profits n’est pas seulement surprenante, elle est aussi inefficace économiquement. Cette affirmation peut certainement sembler provocante pour de nombreux lecteurs qui ressentent les profits des pétroliers comme une véritable provocation. Elle n’en est pas moins vraie. Pour que la taxation des profits soit efficace, il faudrait que le prix élevé du pétrole puisse être imputé à la perception de hauts profits. Or, un profit n’existe pas parce qu’il a été décrété a priori par les producteurs. Il n’est connu qu’après coup, lorsque les consommateurs ont accepté de dépenser suffisamment pour en dégager un.
Les profits résultent aussi du fait que certains entrepreneurs ont réussi mieux que d’autres à anticiper la demande des consommateurs, qu’elle porte sur le pétrole, le rouge à lèvre ou le savon. Si un producteur obtient un profit, c’est que rétrospectivement, d’autres entrepreneurs auraient dû se lancer dans cette production. Acquéreurs des mêmes facteurs de production, ils auraient tiré leurs prix vers le haut, réduisant d’autant le profit potentiel. Le producteur qui touche un profit est simplement un entrepreneur plus clairvoyant que les autres.
La presse quotidienne nous abreuve de chiffres sur les bénéfices colossaux des entreprises comme Esso ou Total. Elles bénéficient certes du prix élevé du pétrole et de profits dans la mesure où d’autres ont omis à leur propre détriment d’investir leurs ressources dans ce secteur. Cela signifie-t-il qu’elles nuisent aux consommateurs parce qu’ils doivent payer un prix élevé pour bénéficier des services rendus par le pétrole? Dans la mesure où ce prix élevé est dû aux erreurs de ceux qui n’ont pas investi dans le secteur, certainement pas. Si on peut déplorer que certains n’aient pas su anticiper correctement la demande de pétrole des consommateurs, il faut se réjouir que certains autres aient été d’excellents spéculateurs. Sans eux, le prix du pétrole aurait été encore plus élevé.
Cela nous amène à parler de l’aberration qu’il y a à vouloir taxer les profits d’une entreprise, au moins du point de vue du consommateur. Car l’individu ou l’entreprise qui obtient un profit en anticipant mieux que les autres la demande des consommateurs est celui ou celle qui les a servis au mieux en investissant les ressources là où elles sont le plus urgemment demandées. Taxer une production profitable revient à sanctionner le consommateur car la taxation constitue une barrière à la concurrence.
Lorsqu’un secteur enregistre des profits importants, il devient intéressant pour d’autres firmes, par exemple dans des secteurs proches et qui enregistrent des marges plus modestes, de modifier leur production et ainsi de répondre à cette demande exceptionnelle. A la recherche de profits, ces nouveaux entrants vont augmenter l’offre de biens et ainsi réduire leur prix. C’est ce processus qu’une taxe sur les profits peut compromettre. Plus ces taxes sont élevées, moins les entrepreneurs peuvent réagir à la présence de profits et répondre aux besoins les plus urgents des consommateurs. Plus l’entrée sur le marché est entravée par des taxes, moins la production est importante et plus le prix est élevé.
Si les pouvoirs publics renoncent, comme vient de le faire le ministre français, à taxer les profits des entreprises, de nouvelles hausses de prix pourront être évitées. Maintenant, il faut réaliser que le gouvernement a à sa disposition un moyen simple de faire baisser le prix du pétrole. Si de nouvelles taxes ne peuvent que tirer le prix à la hausse, il s’ensuit que la réduction des taxes existantes est un facteur de baisse du prix. Une baisse spectaculaire du prix est possible immédiatement si les gouvernements ne tardent pas à renoncer à ces taxations.
Cécile Philippe, directeur de l’Institut Économique Molinari