Le tabou de la flexibilité cache les conditions du plein emploi
Article publié par l’Agefi dans l’édition du 28-29-30 avril 2006.
Une modeste réforme du marché du travail en France a mobilisé la rue au point de faire reculer le gouvernement. Il serait dommage que le débat sur la flexibilité soit enterré avec ce Contrat Première Embauche tant stigmatisé, alors que l’enjeu concerne des millions de personnes, en France et ailleurs. La peur de la «flexibilité», qu’on devrait plutôt appeler «liberté contractuelle», est en effet largement infondée. C’est précisément dans la mesure où on la laisse jouer qu’on peut lutter contre le chômage.
Que reproche-t-on à ceux qui prônent une plus grande flexibilité sur le marché du travail? De vouloir détruire les protections que la loi offre aux travailleurs, de mettre les salariés à la merci de l’arbitraire des patrons. Imaginons un marché totalement libre, à savoir sans monopole légal, sans salaire minimum, sans convention collective sectorielle et obligatoires, sans statut particulier. Les contrats y seraient laissés à la négociation des employeurs et employés potentiels. Les employeurs pourraient-ils simplement faire jouer la concurrence entre employés, jusqu’au moins disant social? Non. Cette idée, implicite dans la thèse de la protection des travailleurs, réduit le marché à une seule de ses dimensions.
Ce que les critiques de la liberté contractuelle voient, c’est la concurrence entre travailleurs. Ce qu’ils ne voient pas, c’est la concurrence entre employeurs. Supposons que ce qu’on reproche normalement aux employeurs soit vrai et résume toute l’affaire, à savoir qu’ils ne sont intéressés que par la perspective d’un profit monétaire. C’est précisément pour cette raison qu’un employé tendra à être payé à la mesure de sa contribution à la production. En effet, le prix maximum qu’un employeur est prêt à payer dépend de son anticipation de cette contribution. Bien sûr, moins il paie le salarié, plus le profit sera élevé. Mais payer le salarié en dessous de ce prix, c’est laisser à des concurrents, n’importe quel investisseur ou groupe d’investisseurs, une opportunité de profit.
En surenchérissant sur le salaire, tant qu’il est inférieur à la contribution du salarié au service des consommateurs, des profits peuvent être dégagés. Ainsi, plus les employeurs seront attentifs à ces opportunités – et ils le seront d’autant plus qu’ils sont «coupables» de succomber à l’appât du gain sur le marché – plus les salariés seront payés au plus près de leurs contributions à la production. Un salarié qui exige d’être payé au-dessus de sa contribution risque d’être écarté au profit d’un autre moins exigeant. De même, l’employeur exigeant d’un travailleur une paie inférieure à ce que vaut son travail pour maximiser son profit risque de ne pas en faire du tout, un de ses concurrents l’embauchant à profit pour un meilleur salaire.
Autrement dit, c’est le résultat de la libre concurrence que d’approcher au plus près de ce que permettent les capacités entrepreneuriales des investisseurs les salaires correspondants aux services rendus aux consommateurs. Et c’est ainsi qu’on élimine le chômage involontaire car c’est seulement aux prix où les offres et demandes de travail sont égalisées, la situation de plein emploi, que les employeurs n’ont plus intérêt à sous-enchérir et les employés à surenchérir, pourvu qu’ils n’en soient pas légalement empêchés. Le chômage est donc un choix politique, celui d’entraver la liberté des contrats sur le marché du travail.
Xavier Méra, Institut économique Molinari