La paix sociale. Mais à quel prix ?
Article publié par Le Monde le 18 mai 2006.
Subventionner des emplois en crée… et en détruit. Contrairement à l’idée d’Edmund Phelps (Le Monde du 13 mai), on ne peut pas combattre le chômage à coups de subventions. Les 150 millions d’euros consacrés en 2006 à créer des emplois-jeunes et les 300 millions des années suivantes vont certes permettre de créer des postes. Mais si des dépenses additionnelles dans tel ou tel secteur y augmentent l’emploi, cela revient à dire que des dépenses plus faibles le réduisent. Puisqu’il n’y a pas de subvention sans taxation, les nouvelles dépenses du gouvernement ont nécessairement pour contrepartie une réduction des dépenses de la part des contribuables. Le gouvernement ne pouvant créer ex nihilo du pouvoir d’achat, il ne peut que déplacer la dépense. Les emplois sont créés là où les subventions sont dépensées et détruits là où la dépense est réduite par la taxation.
Il est vrai qu’en concentrant les subventions sur les «jeunes» le chômage de ces derniers pourrait diminuer, mais cela ne peut se faire qu’au détriment de l’emploi des «anciens». Autrement dit, les subventions ne peuvent changer que la composition de la file d’attente, mais pas sa longueur. De plus, quand les individus décident eux-mêmes où dépenser leurs revenus, la production est orientée vers les besoins les plus urgents. Lorsque le gouvernement se substitue aux citoyens, la dépense est déconnectée de leurs préférences. Le travail et les autres facteurs de production sont déplacés des emplois les plus productifs vers la satisfaction de besoins moins pressants pour la plupart des consommateurs. Les producteurs subventionnés produisent «trop» et les autres «pas assez». L’assortiment de biens produits dans la société est globalement inférieur à ce qu’il aurait été autrement. Ainsi, en plus de ne rien faire pour véritablement lutter contre le chômage, subventionner des emplois réduit le pouvoir d’achat. C’est aussi cela, le prix de la paix sociale.
Le CPE aurait-il été un meilleur outil ? Contrairement à l’impression laissée dans la foire d’empoigne qui a fait office de débat, le CPE n’aurait pas permis à un employeur de licencier sans motif. Il n’aurait pas eu l’obligation d’en communiquer, ce qui est tout à fait différent. Faute de «bons» motifs au regard du droit du travail, il aurait toujours été susceptible d’être condamné aux prud’hommes pour licenciement abusif. Par contre, il aurait bénéficié de la présomption d’innocence en cas de procès, contrairement à ce qui se passe dans le cas du CDI. Le fait que la charge de la preuve repose sur le plaignant aurait certainement été un assouplissement, mais l’employeur aurait aussi dû s’acquitter, entre autres obligations, d’indemnités de rupture qu’il n’a pas à payer dans les deux premières années du CDI. En tout cas, il n’aurait pas eu une totale liberté de licencier.
Le CPE ne constituait au plus qu’un pas timide vers une plus grande flexibilité sur le marché du travail. Cette flexibilité contribuerait pourtant à sortir du chômage de masse des jeunes et des moins jeunes. Supposons que le gouvernement décrète l’institution du mariage en danger et combatte le «fléau» en interdisant le divorce. Quelles seraient les conséquences d’une telle «sécurité du mariage» ? L’inverse de ce au nom de quoi la «lutte» avait été engagée. Dans ces conditions, peu de personnes souhaiteraient encore se marier. Le manque de flexibilité sur le marché du travail aboutit à un résultat similaire.
Comme le dit Nathalie Elgrably, économiste à l’Institut économique de Montréal, «en France, embaucher un travailleur, c’est comme se marier avec un parfait inconnu sans pouvoir divorcer». Bien sûr, il n’est pas interdit de licencier en France, mais l’analogie illustre le problème : les obstacles aux licenciements sont des obstacles à l’embauche. Aujourd’hui, les obstacles restent en place et les chômeurs paient le prix fort.
Xavier Méra est chercheur à l’Institut économique Molinari à Bruxelles.