Taxer les « super profits » de Total : arbitraire et nuisible aux consommateurs
Article publié par l’Agefi le 23 mai 2006.
L’idée d’une taxe exceptionnelle sur les profits des compagnies pétrolières semble à nouveau faire des émules parmi les ministres des finances de l’UE. L’entreprise Total est la première dans le collimateur. Une telle taxe repose sur des critères peu objectifs. Ils pourraient logiquement conduire à une taxation arbitraire de n’importe quelle grande entreprise et ce, au détriment des consommateurs.
Les arguments avancés consistent à exhiber des chiffres apparemment faramineux : 12 milliards d’euros de bénéfice net, 400 euros de profit par seconde, etc. Rapportés à notre quotidien et à nos revenus personnels en particulier, ces chiffres sont vertigineux. Ils ne sont cependant pas très significatifs.
Pour se faire une idée plus juste de ce que représentent les fameux « super profits » de Total, il faut les rapporter à des notions en rapport et d’échelle comparable. Total est une entreprise géante, composée de plus de cent mille salariés, et dont le capital est réparti entre des dizaines de millions d’actionnaires. Le chiffre le plus pertinent à mettre en lumière est sans doute sa capitalisation boursière, c’est-à-dire la valeur en bourse de cette entreprise, en l’occurrence 131 milliards d’euros[[Tous les chiffres proviennent du site internet Boursorama et sont en date du 31/12/2005]]. Le rendement « brut », c’est-à-dire le ratio de la capitalisation boursière divisée par le bénéfice, est donc de 12 milliards divisés par 131, soit 9.2%. Ce chiffre est comparable au rendement immobilier de certaines provinces françaises.
Reste que pour l’actionnaire, le rendement est nettement inférieur. Car sur les 12 milliards de profit, plus des deux tiers sont réinvestis dans l’entreprise, ce qui ne laisse à l’actionnaire qu’un dividende de 3% (au 31/12/2005 sur la base d’un cours de clôture de 212.2 au 30/12/2005 et un nombre de titres de 617.9 Millions.) Un peu plus qu’un compte sur livret…qui lui n’est pas risqué.
A la lumière de ce petit calcul, les profits « faramineux » paraissent singulièrement amaigris. Si l’on veut taxer Total au motif que ses profits sont « élevés », il faudrait logiquement appliquer le même régime à toutes les entreprises présentant des ratios similaires ou meilleurs. En termes de rendements bruts, France Télécom et Renault surpassent largement Total. Mais la palme, parmi les entreprises du CAC 40, revient à une autre vedette de l’actualité: Arcelor: rendement brut de 28 %; dividende de 5,7 %: faut-il imposer à toutes ces entreprises des « taxes exceptionnelles » ?
Pas si on garde en tête l’intérêt de la plupart des consommateurs, car appliquer une taxe exceptionnelle sur les profits de Total (et cela vaut pour toutes les autres entreprises) ne peut que leur être nuisible en décourageant les investisseurs.
Taxer encore plus les profits, ce serait faire descendre des rendement réels déjà peu élevés en dessous de ceux que peuvent procurer des placements moins volatiles voire sans risque. Les volontaires pour investir dans l’exploitation du pétrole seraient alors moins nombreux. Rappelons à cette occasion que les candidats à l’investissement boursier ne se bousculent pas: seuls 15% des Français majeurs détiennent directement des actions. A la limite, sans volontaires pour investir dans les entreprises pétrolières, il n’y aurait tout simplement plus d’essence à la pompe. Que préfère-t-on : de l’essence chère ou de l’essence encore plus chère, voire pas d’essence du tout ?