Haro sur les ententes
Article publié par Les Echos le 27 juillet 2006 sous le titre «Plaidoyer en faveur des ententes».
344 millions d’euros. C’est l’amende infligée par la Commission européenne le 31 mai dernier à cinq entreprises de chimie accusées de s’être entendues entre 1997 et 2002 sur le prix du verre acrylique, plus connu sous le nom de Plexiglas.
344 millions d’euros. C’est l’amende infligée par la Commission européenne le 31 mai dernier à cinq entreprises de chimie accusées de s’être entendues entre 1997 et 2002 sur le prix du verre acrylique, plus connu sous le nom de Plexiglas. Commentant la condamnation des firmes Arkema, Degussa, ICI, Lucite et Quinn Barlo impliquées dans cette entente, Neelie Kroes, la commissaire à la concurrence, a déclaré : « Les ententes sont un fléau. Ces amendes feront l’effet d’une douche froide sur la direction et les actionnaires de toutes ces sociétés, qui doivent bien comprendre que ces pratiques ne sauraient être tolérées ».
On ne saurait être moins ambigu. Pourtant, la coopération entre firmes n’est pas nécessairement nuisible aux consommateurs. Elle peut les servir et la Commission européenne est dans l’incapacité de statuer à leur place si telle ou telle entente les sert. Si l’Europe peut faire quelque chose pour les consommateurs, c’est de les laisser eux-mêmes trancher la question.
Les ententes ont mauvaise presse. C’est sans doute la raison pour laquelle peu de commentateurs s’émeuvent des méthodes employées par l’exécutif européen. Après tout, tout est bon pour combattre un fléau, même la technique consistant à dispenser d’amende les « coupables » qui dénoncent leurs « complices ». C’est le cas de Degussa qui a tout simplement vu son amende de 264 millions d’euros effacée pour avoir vendu la mèche.
Cependant, quoi qu’on pense de l’attitude favorable de la Commission envers la délation, la mauvaise réputation des ententes est bien moins justifiée qu’il n’y paraît. Une entente dénote des actions concertées de la part d’entreprises différentes. De ce point de vue, elles agissent comme si elles n’étaient qu’une seule entreprise. Ainsi, une fusion n’est rien d’autre qu’une entente pleinement entérinée. Comment se fait-il alors que les fusions ont moins mauvaise réputation que les ententes ?
Ce n’est pas tout. Le simple fait de fonder une entreprise impliquant la coopération d’au moins deux personnes suppose une entente. Au lieu d’agir en entrepreneurs individuels, de mener leurs affaires en toute indépendance, des gens coopèrent, mettent en commun un capital et embauchent des salariés. Le fait que de telles associations se fassent au grand jour ne change rien à leur nature. Elles impliquent des ententes. Doit-on alors considérer qu’une économie dans laquelle on n’aurait pas le droit de participer à une activité productive si ce n’est en tant qu’entrepreneur individuel serait un paradis pour les consommateurs ? Bien entendu, la Commision ne prétendrait pas qu’ils seraient servis au mieux grâce à l’interdiction de toute association entre producteurs. C’est pourtant ce qu’implique l’idée du « fléau » des ententes.
Les ententes entre des entreprises déjà existantes devraient logiquement être considérées comme des étapes intermédiaires entre leur stricte indépendance et leur fusion. Que peut-on alors dire de telles pratiques du point de vue des consommateurs ? En réalité, personne ne peut s’assurer a priori qu’une entente les sert ou non. Pourvu que l’entrée sur le marché ne soit pas bloquée par des barrières légales, ce sont les consommateurs qui sanctionnent les meilleurs choix à cet égard en dirigeant leurs achats vers les producteurs qui les servent au mieux. Si une entente ou une fusion n’apporte rien aux consommateurs, elle ne fait qu’inviter des concurrents à entrer sur le marché pour saisir l’opportunité de profits ainsi offerte. Elle est alors mise en échec et l’intervention d’un régulateur est superflue. Si elle apporte quelque chose, les consommateurs la récompensent, à condition que le régulateur leur en laisse l’opportunité. Dans ce cas, la condamnation de l’entente va à l’encontre de leurs intérêts.
Les autorités de régulation sont dans l’incapacité de se substituer aux entrepreneurs et aux consommateurs pour assurer les meilleurs services à ces derniers. Elles sont par contre tout à fait aptes à empêcher les consommateurs d’émettre leur propre verdict. En combattant le « fléau des ententes », c’est ce qu’elles font.
Xavier Méra, Institut économique Molinari