Parodie de concurrence
Article publié par l’Echo le 23 décembre 2006.
La cour d’appel de Paris a confirmé mardi 12 décembre la condamnation à une amende de 534 millions d’euros des trois opérateurs de téléphonie mobile, Orange, SFR et Bouygues Télécom. Les pouvoirs publics, gardiens de la concurrence et protecteurs des consommateurs, auraient ainsi fait preuve d’une juste fermeté face à des comportements inacceptables.
La cour d’appel de Paris a confirmé mardi 12 décembre la condamnation à une amende de 534 millions d’euros des trois opérateurs de téléphonie mobile, Orange, SFR et Bouygues Télécom. Accusés de s’être entendus pour maintenir les prix à des niveaux artificiellement élevés et ainsi figer leurs parts de marché, les opérateurs ont été condamnés en novembre 2005 par le conseil de la concurrence. Les pouvoirs publics, gardiens de la concurrence et protecteurs des consommateurs, auraient ainsi fait preuve d’une juste fermeté face à des comportements inacceptables.
Le tableau ainsi dépeint donne cependant une représentation bien peu fidèle de la réalité. S’il est possible que les opérateurs aient pu s’entendre au détriment des consommateurs, ce n’est pas en défiant les règles d’une concurrence dont l’Etat serait le garant mais au contraire en profitant d’un système anti-concurrentiel organisé sous l’égide des pouvoirs publics. Rétablir véritablement la concurrence requiert la remise en question de ce système.
Contrairement à l’idée reçue, une entente n’est pas un problème en soi. Il est vrai qu’une entente entre sociétés peut nuire aux consommateurs, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, une entente permet parfois des économies d’échelle qui profitent aux consommateurs. En libre concurrence, c’est-à-dire lorsque tout un chacun se voit reconnaître le droit d’entrer sur le marché, une entente n’apportant rien aux consommateurs est une invitation pour des concurrents à venir récupérer une clientèle mécontente. Tant que la libre concurrence prévaut, le consommateur demeure autant que possible à l’abri d’ententes qui le desservent. Mais était-ce le cas ici ?
Le gouvernement a réservé l’accès aux bandes de fréquence GSM aux trois opérateurs. Par conséquent, le système était et reste par construction verrouillé par des barrières légales à l’entrée sur le marché. Pas de libre concurrence donc. Les conditions favorisant l’émergence d’une entente restrictive étaient d’emblée réunies. Tenir compte de ce genre de considérations, c’est réaliser qu’il est difficile d’attribuer au « marché » et aux « libéralisations » des tendances à une cartellisation nuisible des industries quand celles-ci opèrent dans un cadre institutionnel à caractère éminemment politique. Dans le cas présent, c’est réaliser que Bouygues, SFR et Orange n’ont pu ainsi « conspirer » contre le public que grâce au privilège attribué par le gouvernement de se partager le marché.
La perspective globale sur les activités de l’Etat en la matière devient donc la suivante. D’abord, le gouvernement utilise les recettes fiscales en employant des gens à entraver la concurrence en créant les conditions favorables à un cartel. Par ailleurs, le gouvernement mobilise aussi les ressources des contribuables pour employer d’autres personnes à surveiller les pratiques anti-concurrentielles. Un beau jour, les seconds sont appelés à réagir aux problèmes créés par les premiers. Incidemment, le travail des fonctionnaires de l’Agence Nationale des Fréquences sert alors à justifier celui de la direction générale et du conseil de la concurrence.
Le pouvoir d’achat de l’abonné est donc amputé trois fois par rapport à la situation qui aurait prévalu dans un marché libre : en tant que contribuable, il doit payer un supplément d’impôts pour la création et le maintien des barrières à l’entrée sur le marché. En tant qu’abonné d’un opérateur mobile, il doit payer plus cher à cause de ces barrières. En tant que contribuable à nouveau, il doit payer les frais des fonctionnaires le « protégeant contre les pratiques anti-concurrentielles », protection qui n’aurait pas lieu d’être s’il n’avait pas à financer les barrières à la concurrence. De plus, cette « protection » laisse inchangé l’essentiel des conditions ayant rendu possible cette triste histoire. Enfin, pour ajouter l’injure au préjudice, l’amende payée par les opérateurs vient nourrir les caisses de l’Etat. N’aurait-il pas été plus opportun de laisser le marché fonctionner au départ ?
Xavier Méra, pour l’Institut économique Molinari