L’efficacité contestée des biocarburants
Article publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.
Il apparaît que les effets économiques et écologiques des biocarburants sont loin d’être positifs, dès lors que l’on considère leur bilan énergétique ou l’impact de leur production sur le cours des céréales et des plantes oléifères dans le monde.
Les biocarburants sont une nouvelle fois à la une de l’actualité. Début janvier, le président américain, George W. Bush, a promulgué une loi sur l’énergie prévoyant la multiplication par six des biocarburants produits dans son pays d’ici 2022. Dans une belle unanimité, les principaux candidats à l’investiture pour les prochaines présidentielles – Démocrates comme Républicains – se font également les avocats d’énergies qu’ils considèrent comme « écologiques » et « renouvelables ». Or, il apparaît que les effets économiques et écologiques des biocarburants sont loin d’être positifs, dès lors que l’on considère leur bilan énergétique ou l’impact de leur production sur le cours des céréales et des plantes oléifères (qui contiennent une huile ou une graisse végétale) dans le monde.
L’intérêt énergétique des biocarburants est en effet de plus en plus contesté. Les rapports officiels (ONU, OCDE, etc.) et les articles scientifiques se succèdent, qui mettent en cause ces « carburants verts ». Leur bilan est accablant lorsqu’on les compare à d’autres sources d’énergies qui leur sont directement substituables, à savoir les énergies fossiles – le pétrole par exemple.
Ainsi, la quantité d’énergie libérée par la combustion des biocarburants est inférieure à la quantité d’énergie nécessaire à leur fabrication. Leur usage implique donc une perte nette d’énergie, c’est-à-dire le gaspillage de ressources rares : des ressources qui auraient pu être utilisées pour créer de l’énergie servent en réalité à en détruire. Rien de tel avec les ressources fossiles, dont le bilan énergétique est largement positif. S’ils devaient se développer, les biocarburants auraient donc un coût considérable, car celui-ci inclurait la valeur des ressources énergétiques perdues.
Pourrait-on néanmoins justifier leur usage par un quelconque intérêt écologique ? Là encore, le bilan est loin d’être positif. La production des plantes nécessaire à la fabrication des biocarburants nécessite de très grandes quantités d’eau. Il faut par exemple entre 400 et 1500 litres d’eau pour produire 1 kg de maïs. À cela s’ajoutent les engrais et les pesticides déversés sur les champs pour assurer une croissance saine des végétaux. En Europe, la production de biocarburants nécessiterait aussi la mise en culture de terrains en jachère, dont les environnementalistes disent qu’elles sont nécessaires au maintien de la biodiversité. Selon eux, de nombreuses espèces de plantes ou d’oiseaux pourraient se trouver menacées. Ainsi, selon les critères les plus fréquemment retenus par les écologistes, l’intérêt écologique de ces « carburants verts » paraît bien faible.
Les conclusions d’un colloque organisé à Grenoble les 28 et 29 janvier derniers par le ministère de l’Écologie font preuve du même scepticisme. La précipitation avec laquelle certains gouvernements se sont engagés dans des mécanismes d’incitations à la production et à l’usage de biocarburants est dès lors surprenante, et s’avère contre-productive. La plus grande prudence est de mise.
En outre, d’autres effets des biocarburants ont été sous-estimés ou ignorés, tant dans les rapports officiels que dans les médias. Une nouvelle fois, l’actualité les met en évidence. La production de biocarburants nécessite d’importantes quantités de plantes oléifères, telles que le colza, le tournesol ou le maïs. Dans certains pays, cette production se fait par la déforestation : d’importantes aires sont ainsi déboisées pour y planter des palmiers à huile (en Indonésie) ou de la canne à sucre (au Brésil), qui servent à la fabrication des biocarburants.
Dans de nombreux autres cas, comme en Europe ou aux États-Unis, les moyens de production agricole sont limités, pour des raisons tenant à la limitation des surfaces ou à la quantité de main-d’oeuvre disponible. Les exploitants agricoles doivent alors faire le choix entre une production destinée au marché alimentaire et une production destinée à la fabrication de « carburants verts ». Un nombre croissant d’entre eux abandonne la production à visée alimentaire pour se tourner vers les biocarburants. On observe donc une baisse globale de l’offre de certains produits agricoles alimentaires, alors même que la demande est stable ou en augmentation. Le cours mondial de certaines matières premières, comme le maïs, augmente donc très fortement.
Ceci n’est pas sans conséquences sur le pouvoir d’achat des consommateurs de ces produits ou des produits fabriqués à partir de ces denrées alimentaires. Si les effets de cette hausse des prix des produits alimentaires restent limités en France, ils sont en revanche beaucoup plus visibles dans les pays en voie de développement. Ceux-ci sont en effet beaucoup plus sensibles à une variation des prix des produits alimentaires que les pays développés, parce que la part du budget que chaque habitant consacre à la nourriture y est beaucoup plus élevée.
De très fortes manifestations se sont déroulées il y a peu au Mexique (entre 130 000 et 150 000 personnes dans les rues de Mexico le 31 janvier dernier), pour protester contre la hausse du prix du maïs américain. Cette céréale est essentielle aux Mexicains, car elle sert à confectionner les tortillas, petites galettes qui sont à la base de l’alimentation du pays. Le Mexique importe aujourd’hui 10 millions de tonnes de maïs par an. Mais, depuis la mise en place du plan Éthanol par les États-Unis, son prix s’est envolé et un nombre croissant de Mexicains éprouve de grandes difficultés à s’alimenter. On mesure donc l’ampleur des dangers nés de la fabrication de biocarburants à partir de plantes et de céréales autrefois destinées au marché alimentaire. Les politiques de « forcing » écologique entreprises dans les pays développés se payent parfois au prix fort par les populations des pays plus pauvres.
En dépit de leurs nombreux effets négatifs, les biocarburants continuent d’attirer nombre de gouvernements dans le monde (Brésil et États-Unis notamment). L’Union Européenne a, quant à elle, fixé à 5,75 % la part des « carburants verts » devant être utilisés en 2010 dans l’énergie pour les transports. Cette part doit passer à 10 % en 2020.
Néanmoins, les biocarburants sont loin de représenter une source d’énergie optimale. Leur bilan énergétique négatif diminue grandement leur intérêt. En outre, le renchérissement des prix de certaines denrées alimentaires qu’implique leur production doit être étudié avec attention. En matière environnementale, l’emballement politique n’aboutit-il pas in fine à des effets pervers et à des solutions peu viables ?
Guillaume Vuillemey, chercheur associé, Institut économique Molinari