Le rôle économique des « parachutes dorés »
Article publié sur le site du journal Le Monde, le 27 novembre 2008.
Alors qu’on fait le procès des « parachutes dorés » dans une période qui semble s’y prêter, il faut rappeler le rôle légitime de ceux-ci. On oublie trop souvent que les « parachutes dorés » des dirigeants d’entreprise ont certaines fonctions économiques. Leur réglementation stricte remettra indiscutablement en cause la coïncidence des intérêts entre les actionnaires, qui les accordent, et les dirigeants d’une entreprise, qui en bénéficient. Les principaux intéressés à une direction d’entreprise efficace, les porteurs d’actions, n’en tireront probablement aucun avantage. Une telle limitation de ce type de rémunération privera les entreprises des garde-fous encadrant leurs dirigeants et les exposera à l’instabilité liée à des changements de direction plus fréquents, intervenant par exemple suite à une OPA.
Les « parachutes dorés » sont des clauses dans les contrats de travail des dirigeants d’entreprises qui leur fournissent des avantages très lucratifs en cas de perte de leur emploi. Les assemblées d’actionnaires ont plusieurs bonnes raisons de consentir à offrir aux administrateurs ces clauses. Ces bonus sont nécessaires pour attirer et conserver les compétences au niveau le plus élevé de l’entreprise, et ce tout particulièrement en temps de crise.
Comme les actionnaires laissent tout contrôle sur la firme aux dirigeants, les incitations financières sont un moyen de s’assurer de leur loyauté. En effet, les parachutes dorés sont souvent composés de produits financiers indexés sur la valeur de la firme. Leurs cours s’élèvent et chutent avec la performance du dirigeant. Ils réunissent donc les intérêts des actionnaires et des dirigeants de l’entreprise autour du même objectif. Les décisions allant contre les intérêts des actionnaires deviennent par le fait même des décisions dommageables pour le président-directeur général. Il s’agit donc d’un dispositif disciplinaire. Limiter les parachutes dorés affaiblira cette coïncidence des volontés et contribuera à déresponsabiliser les gestionnaires.
Si les primes de départ extraordinaires des grands patrons remplissent d’abord une fonction salariale, elles constituent également un rempart financier supplémentaire contre des changements trop fréquents de direction, et indirectement donc sur les possibilités d’offre publique d’achat (OPA).
En rendant plus coûteux les changements de management consécutifs à une OPA, les porteurs d’actions bénéficient d’une protection supplémentaire contre les rachats inopportuns. Priver les PDG de telles primes de rupture pénaliserait donc les stratégies financières de long terme, caractéristiques des petits actionnaires fidèles à une société, au profit des stratégies rapides d’argent facile typique. Ceux qui se plaignent des OPA et de leurs effets sociaux devraient se réjouir de l’existence des parachutes dorés, et prendre garde de ne pas les affaiblir avec une législation contraignante !
Si les entreprises recourent fréquemment aux parachutes dorés, ce n’est donc pas un hasard, et leurs actionnaires ne semblent pas le regretter. Des études de grands cabinets d’audit révèlent par exemple que les parachutes dorés et autres rémunérations exceptionnelles des dirigeants du CAC 40 (stock options, etc.) ne sont que très rarement sujet de discorde dans les assemblées d’actionnaires. La valeur des fonctions légitimes de ces rémunérations incitatives est au moins égale à leur coût aux yeux des actionnaires. Ces bonus répondent donc à une véritable demande du milieu des affaires.
Il faut se rappeler que les actionnaires sont ainsi les régulateurs les plus efficaces contre les éventuels excès des dirigeants. Les intérêts individuels de porteurs d’actions, en rivalité avec ceux des dirigeants, les poussent à chercher des solutions toujours plus innovantes, et font d’eux les personnes très bien placées pour exercer un contrôle approprié des dirigeants en fonction de la situation spécifique de chaque entreprise. Affaiblir par la réglementation ou la fiscalité l’efficacité des parachutes dorés risquerait de réduire le contrôle des actionnaires sur les dirigeants, et de ne leur laisser pour seule alternative que des solutions moins attrayantes.
Il existe bel et bien des raisons légitimes à l’existence de ces différents bonus. Tellement légitimes en fait que les principaux intéressés ne contestent pas leur existence, contrairement à ce que pourrait laisser penser la polémique médiatique. Affaiblir ces instruments par une règlementation contraignante irait donc non seulement contre leur volonté, mais priverait le marché des « régulateurs » les plus attentifs à ces problématiques, c’est-à-dire les actionnaires.
Mathieu Bédard, chercheur, Institut économique Molinari