Ne pénalisons pas l’innovation des télécoms mobiles
Article publié aujourd’hui dans Le Temps.
N’est-il pas paradoxal de vouloir la promotion de quelque chose tout en pénalisant ceux qui sont censés l’offrir ? C’est pourtant ce qui se passe en France. Le gouvernement affiche un plan très ambitieux – appelé « France numérique 2012 » – qui vise, entre autres, le développement des télécommunications mobiles, alors que parallèlement ce même gouvernement prévoit d’accabler le secteur d’une nouvelle taxe et que les pouvoirs publics re-réglementent lourdement les opérateurs.
Le secteur des télécommunications a connu des innovations spectaculaires. Il a en effet permis aux consommateurs de pouvoir se séparer du bon vieux téléphone filaire. Grâce aux innovations, ils devraient bientôt également être en mesure de s’informer, de surfer sur Internet, de consulter leurs e-mails et d’avoir accès à un contenu multimédia, de n’importe où dans le monde.
Ces innovations nécessitent cependant de moderniser et d’étendre les réseaux actuels. En dépit des souhaits de la part du gouvernement, plus de la moitié du territoire français par exemple reste à couvrir en réseau mobile haut débit. En juin 2008, seuls 12 % des abonnés étaient passés à la téléphonie mobile de troisième génération (3G), soit plus de deux fois moins qu’en Suède, en Norvège ou en Italie. Améliorer la situation nécessitera inévitablement des investissements importants. Ceux-ci risquent pourtant d’être retardés par l’« appétit » réglementaire des pouvoirs publics et une politique fiscale française malavisée.
Car les opérateurs mobiles qui prendront en charge ces investissements se trouvent pénalisés à plusieurs niveaux.
D’une part, après une ouverture à la concurrence des années 1990 – pas étrangère au dynamisme qu’ont connu les télécoms depuis cette époque –, il y a un « retour de balancier » et une tendance à re-réglementer le secteur.
Ainsi, dans une optique « court-termiste », la commercialisation et les prix des services de télécommunication mobile sont strictement réglementés par les pouvoirs publics, aussi bien européens que nationaux. Des prix plafonds ont été imposés par les instances européennes pour les appels à l’international (« roaming ») en 2007 et ces plafonds devraient baisser dans les années à venir. Un projet similaire visant à plafonner les prix du roaming des SMS et des transferts de données est aussi à l’ordre du jour. Il vient d’obtenir, le 27 novembre 2008, l’accord des 27 ministres européens chargés des télécommunications et devra être entériné par le Parlement européen en vue d’une adoption définitive.
Les régulateurs nationaux ne restent pas inactifs non plus. Par exemple, des baisses de prix ont été imposées par l’Arcep, le régulateur français, sur les terminaisons d’appel (prestation consistant pour chaque opérateur à acheminer les appels provenant d’un autre opérateur).
Contrairement à une authentique baisse des prix issue d’une concurrence accrue dans le marché, de telles baisses des prix « décrétées » par les pouvoirs publics se font aux dépens des investissements dans la fourniture des services de demain. Cela se traduira pour les consommateurs par des prix futurs relativement plus élevés, un choix d’offres moins important ou des capacités insuffisantes des réseaux « nouvelle génération ».
En matière de commercialisation, de nouvelles obligations ont aussi été mises en place. La loi Chatel de 2008 sur les « droits des cyberconsommateurs » limite par exemple la durée d’engagement contractuelle et impose la résiliation des contrats de 24 mois sans payer la totalité des sommes dues par les abonnées. Bien que politiquement attrayantes pour faire plaisir à certains consommateurs qui ont le goût de changer d’opérateur sans tenir leurs engagements contractuels, de telles obligations imposent des coûts « extra » aux opérateurs.
La liste des nouvelles réglementations pesant sur l’activité des opérateurs mobiles ne cesse de s’allonger et consommera malheureusement une partie croissante de leurs ressources.
Mais ce n’est pas tout. À ces obstacles réglementaires, un projet de loi prévoit de nouvelles dispositions fiscales pour les opérateurs en France. Les prélèvements envisagés sur leurs revenus ne manqueront pas de peser sur les performances et le dynamisme du secteur.
Une nouvelle taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécoms est ainsi en discussion à l’Assemblée nationale. Selon Frank Esser, président du deuxième opérateur mobile en France, SFR, au taux initial de 0,9 %, cette taxe correspondrait à quelque 70 millions d’euros pour sa compagnie, soit 10 % de ses investissements annuels (Le Figaro du 17 novembre 2008)!
Bien qu’un amendement propose un taux progressif à la place de 0,5 % à 0,9 %, cette taxe viendra inévitablement se rajouter à la fiscalité générale, commune à toutes les entreprises. Son effet inévitable sera d’amputer davantage encore les revenus des opérateurs.
Certes, les opérateurs pourraient essayer de « refiler » cette taxe aux consommateurs. Mais, en dépit des apparences, cette solution ne peut leur permettre de retrouver la croissance qu’aurait connue le secteur, ni les recettes qu’ils auraient pu réaliser en absence de la taxe. En effet, avec des prix plus élevés, il sera plus difficile pour les opérateurs de maintenir la même progression dans les ventes de leurs services. Les opportunités d’affaires et de promotion des nouveaux services mobiles, tout comme les perspectives de revenus – bref, la taille du « gâteau » – auront été réduites par la nouvelle taxe. Il sera plus difficile pour tous les opérateurs de trouver leur place autour de la « table »!
En affectant la rentabilité des investissements, une telle politique fiscale réduit inévitablement les ressources des opérateurs que ces derniers seraient susceptibles de consacrer à l’innovation. Elle met à mal leurs capacités pour investir dans leurs futurs réseaux.
La mise en place de nouvelles réglementations coûteuses et l’instauration de la nouvelle taxe auront sans doute aussi pour effet de déstabiliser les opérateurs les plus fragiles. Ceux-ci pourraient disparaître, réduisant arbitrairement la pression concurrentielle. Une telle évolution finira également par être dommageable pour les consommateurs. Pire, les pouvoirs publics ne manqueront probablement pas de rajouter de nouvelles couches de réglementations, déplorant demain cette faiblesse de la concurrence qu’ils auront eux-mêmes provoquée!
Les différentes applications multimédias mobiles que les consommateurs entrevoient aujourd’hui nécessitent des capacités de débit importantes et des investissements considérables dans la modernisation et la couverture des réseaux. Si les pouvoirs publics souhaitent que les Français bénéficient pleinement de ces innovations et des avantages qu’offre le mobile haut débit, ils devraient modérer leur « appétit » réglementaire et fiscal!
Valentin Petkantchin, directeur de la recherche, Institut économique Molinari