Entreprises stratégiques : la loterie est ouverte !
Article publié sur le site Le Monde.fr le 16 janvier 2009. Une version de cet article a aussi été publiée par CFO-news.com le 21 janvier 2009.
Annoncé en octobre dernier par Nicolas Sarkozy, le fonds souverain français est prêt à investir. Doté de 20 milliards d’euros, il est destiné à apporter des capitaux aux entreprises dites « stratégiques » ayant besoin de fonds propres. Il s’agit en réalité d’empêcher la faillite ou le rachat par des sociétés étrangères de grandes ou moyennes entreprises françaises. Dès le mois prochain, des participations pourraient être prises. Le concept d’« entreprise stratégique » manque pourtant de contenu économique précis. Il est davantage destiné à multiplier les interventions publiques au détriment de la sélection par les consommateurs qui, quand on les laisse faire, choisissent par leur décision de consommation si une entreprise est « stratégique » ou non pour eux.
L’expression utilisée par Nicolas Sarkozy n’est pas nouvelle, mais son contenu reste pourtant toujours flou. Automobile, construction navale, aéronautique, biotechnologies, armement, production d’énergie, distribution d’eau ou d’électricité (dont l’État était déjà l’actionnaire !), transports, sont autant de secteurs dont les entreprises ont pu, parmi d’autres, être qualifiées de « stratégiques ». Quels sont leurs points communs ? Outre leur taille – une PME est rarement considérée comme stratégique ! – c’est principalement le fait qu’elles sont menacées de faillite ou de rachat qui permet de qualifier certaines entreprises de « stratégiques ».
Mais une entreprise au bord de la faillite peut-elle vraiment être considérée comme « stratégique » ? N’est-il pas plus pertinent de penser qu’une entreprise est « stratégique » quand elle satisfait certains des besoins les plus urgents des individus qui font justement appel à elle ? Une entreprise proche de la faillite est généralement une entreprise qui peine à trouver suffisamment de clients dans les conditions du marché, ceux-ci préférant se tourner vers d’autres biens ou services. Par leurs choix, les consommateurs ont ainsi sanctionné l’entreprise en ne lui fournissant pas les rentrées financières nécessaires à la poursuite de ses activités. En intervenant pour défendre une entreprise en difficulté qu’il juge « stratégique », l’État ignore ce choix des consommateurs. Ces interventions sont financées par les contribuables, dont le pouvoir d’achat – c’est-à-dire la capacité à décider des entreprises qui sont « stratégiques » à leurs yeux – est dès lors amputé.
Pour autant, l’État ne doit-il pas protéger certaines entreprises françaises contre d’éventuels acquéreurs étrangers ? C’est le discours tenu par Nicolas Sarkozy qui n’a « pas l’intention d’être le président de la République qui va laisser racheter par des fonds étrangers des entreprises qui n’ont perdu leur valeur que parce que la bourse s’est effondrée ». Cependant, lorsqu’une société en rachète une autre, c’est qu’elle s’estime capable de produire davantage de valeur avec la même quantité de ressources. Ceci se fait par la réorganisation de l’activité et par la création de synergies. En d’autres termes, un rachat, dès lors qu’il est viable, est bénéfique pour le consommateur. En ce sens, les rachats sont souvent « stratégiques » pour les consommateurs !
Malgré cela, les responsables du fonds souverain souhaité par Nicolas Sarkozy auront également du mal à choisir, parmi les entreprises en difficulté, celles qu’il convient de protéger par des prises de participation. Sur la base de quels critères ces choix se feront-ils ? Il n’y a pas d’indicateurs économiques permettant de dire, a priori, si un rachat se soldera par une réussite ou un échec. Tout dépend de la gestion de l’entreprise-cible par ses nouveaux propriétaires et, comme dans toute activité humaine, l’erreur est possible même si on ne peut la prévoir avec certitude. Au contraire, il y a fort à parier que les choix s’opéreront sur des critères essentiellement politiques. L’État tentera en priorité d’éteindre les conflits sociaux les plus médiatiques ou de sauver des entreprises considérées comme symboliques.
Au final, le mot « stratégique » sert essentiellement à légitimer des politiques interventionnistes et conduit in fine à détrôner le consommateur dans ce rôle !
Guillaume Vuillemey, chercheur, Institut économique Molinari