États et monnaie : un mauvais ménage?
Le livre grand public, État, qu’as-tu fait de notre monnaie?, de Murray Rothbard, économiste de l’école « autrichienne », est enfin disponible en ligne en français.
« Peu de sujets sont plus embrouillés et confus que la monnaie. » C’est ainsi que Murray Rothbard introduit son livre, État, qu’as-tu fait de notre monnaie? Si ce livre est d’actualité, c’est bien à cause de la mauvaise situation des banques et de la finance. Quelles sont les causes de la crise? Pouvait-on la prévoir? Quelles seront les conséquences? Inflation ou déflation? Que doivent faire les États et les banques centrales?
Nous sommes submergés de livres et d’articles qui rivalisent d’explications et de remèdes. Très souvent, les coupables habituels sont pointés du doigt, que ce soit la déréglementation, la cupidité des banques, la concurrence, l’effet de levier, la rémunération des traders, les agences de notation ou l’irrationalité des marchés. Mais pas seulement. On découvre aussi que les grandes entreprises semi-publiques Fannie Mae et Freddie Mac ont encouragé les crédits subprimes, et que de nombreux établissements de crédit, pourtant très réglementés, se sont mis en difficulté. Côté pile, on accuse le marché; côté face, les interventions de l’État.
Cette avalanche d’informations contradictoires ne nous éclaire pas, car elle ne porte que sur des symptômes superficiels. La fréquence des crises nous rappelle que les causes sont plus profondes. Sans remonter à 1929, on se souvient de la stagflation des années 1970, de la crise de 1982, du krach de 1987, de la décennie 1990 au Japon, des crises mexicaine (1994), asiatique (1997), russe (1998), argentine (2001), et de l’éclatement de la bulle internet. Force est de constater que le traitement des symptômes n’a apporté aucune solution satisfaisante.
Il est donc vital de prendre du recul pour comprendre l’origine des crises financières. Le livre de Rothbard répond à cet objectif, grâce à sa présentation pédagogique, concise et accessible, destinée à des lecteurs n’ayant aucune formation en économie.
Qu’est-ce que la monnaie?
La première partie du livre répond à cette question. La leçon que nous devons apprendre est que la monopolisation de la monnaie par l’État n’a rien d’évident.
Rothbard écrit : « le principe de liberté peut-il s’appliquer à la monnaie? Peut-on avoir un marché de la monnaie, de même que pour les autres biens et services? Et à quoi un tel marché ressemblerait-il? […] Contrairement à ce qu’écrivent certains auteurs, la monnaie n’a rien de spécial qui justifie sa réglementation complète par l’État. »
Les monnaies sont des marchandises utilisées pour faciliter les échanges. Celles qui émergent – généralement l’or et l’argent, sous forme de pièces ou de lingots – sont préférées parce que leurs qualités propres répondent particulièrement bien aux besoins des utilisateurs. Les monnaies peuvent être produites par des monnayeurs, c’est-à-dire par des entreprises privées, comme n’importe quelle autre marchandise.
Or nos institutions financières sont presque à l’opposé de la libre entreprise. Certes, nous n’avons pas totalement atteint « la centralisation du crédit entre les mains de l’État, au moyen d’une banque nationale, dont le capital appartiendra à l’État et qui jouira d’un monopole exclusif. » (K. Marx et F. Engels, Le manifeste du Parti communiste, 1848). Mais la monnaie et les banques sont régies par des lois qui n’ont aucun équivalent dans les autres secteurs : monopole, cours légal, réserves fractionnaires, suspension de la convertibilité et banques centrales.
Quelles sont les conséquences des interventions de l’État dans le domaine monétaire?
La deuxième partie est consacrée et répond à cette question. Comme pour n’importe quelle marchandise, le monopole procure un revenu indu à celui qui en bénéficie, et dégrade la qualité de la monnaie. Le cours légal oblige les créanciers à accepter un produit de moins bonne qualité. Les réserves fractionnaires servent à financer les dépenses de l’État sans avoir recours au vote d’un impôt. La suspension de la convertibilité et les banques centrales permettent de laisser libre cours à l’expansion monétaire, tout en évitant que l’édifice ne s’effondre trop rapidement.
Mais l’existence de banques centrales n’est pas pour autant sans conséquences. Ces règles du jeu sont une incitation à l’inflation et à la formation de bulles spéculatives. Elles encouragent la prise de risques inconsidérés. Elles fragilisent l’économie en augmentant le niveau d’endettement public et privé. C’est là que se trouve l’explication de nombreux symptômes que nous déplorons à juste titre dans la crise actuelle.
Histoire monétaire du 20e siècle
La troisième partie du livre illustre la réalité monétaire en s’appuyant sur des exemples historiques. L’épilogue rédigé par le spécialiste de théorie monétaire et Professeur agrégé d’économie à l’Université d’Angers, Guido Hülsmann, traite, quant à lui, de la période de 1973 à 2000.
L’étalon-or a ainsi été suspendu à plusieurs reprises pendant les deux guerres mondiales ou durant la crise des années 1930. Chaque épisode d’expansion monétaire a causé des désordres considérables, auxquels les États ont toujours répondu par des traités internationaux. La coordination internationale, que certains appellent de leurs vœux, n’est donc pas une idée nouvelle. Elle a déjà été tentée à Gênes (1922), à Bretton Woods (1944), lors des accords du Smithsonian (1971), pour la création de l’ECU (1979), les accords du Plaza (1985), et la création de l’euro. Il faut s’interroger sur le sens et l’absence d’efficacité d’une telle démarche.
Quel est le message véritablement unique et original de Rothbard dans État, qu’as-tu fait de notre monnaie? Tout d’abord, il refuse de mettre a priori sous tutelle les acteurs privés sous prétexte que la monnaie serait une activité à part. Ensuite, il affirme que c’est justement le monopole public de la monnaie qui est la source des crises financières récurrentes. Pour éviter leur résurgence, il faut commencer par appliquer à la monnaie et à la banque les règles de droit habituelles dans les autres secteurs : droit de propriété, respect des engagements contractuels et libre entreprise.