Énergie en Europe : une dangereuse multiplication des réglementations
Article publié dans l’Agefi Magazine – Suisse, le 2 février 2009, et Perspectives, le 16 mars 2009.
Depuis juillet 2007, les consommateurs résidentiels européens peuvent choisir librement leur fournisseur en énergie. Le marché industriel avait, quant à lui, été ouvert à la concurrence trois années auparavant, en juillet 2004. Ce processus aurait pu contribuer à la baisse des prix, à l’amélioration des services proposés et à l’innovation technologique. Néanmoins, au nom d’une conception biaisée de la concurrence, de nombreuses re-réglementations ont été imposées, qui menacent sérieusement les bénéfices que la libéralisation du marché pourrait apporter.
Pour la Commission européenne, un marché n’est concurrentiel que si un certain nombre d’entreprises offrent le même service. Se fondant sur une conception irréaliste de la concurrence, celle de la « concurrence pure et parfaite », elle a présenté en janvier 2007 un rapport de suivi [[Communiqué de presse de la Commission Européenne, 10 janvier 2007.]] dans lequel elle pointe l’existence de « sérieux problèmes ». Selon elle, la nouvelle structure de marché reflète beaucoup trop fidèlement l’ancienne : les monopoles historiques auraient tendance à conserver la maîtrise d’une part écrasante des importations et de la production nationale.
Pourtant, il est inexact de croire que la concurrence se caractérise par la multiplicité des offreurs sur un marché donné et par une distribution égale des parts de marché. Le fait de vouloir remettre en cause et re-réglementer des entreprises verticalement intégrées dont, pourtant, les consommateurs pourraient bénéficier, n’améliore pas la pression concurrentielle. De même, porter atteinte aux droits de propriété – élément indispensable pour le bon fonctionnement du marché et de la concurrence – des compagnies d’énergie, voire réinstaurer des monopoles légalement protégés, comme projette de le faire la Commission avec les mesures de « séparation », ne favorise pas non plus, en dépit des déclarations officielles, la libre concurrence.
Néanmoins, pour faire face à ce qu’elle considère comme un « dysfonctionnement », elle entend imposer de nouvelles dispositions contraignantes en matière de propriété et de gestion des réseaux de gaz et d’électricité. Si la situation actuelle n’est certes pas idéale, il serait dangereux d’imposer de nouvelles réglementations dont les conséquences seraient pires que le mal qu’elles sont sensées résoudre.
À l’heure actuelle, une séparation juridique et managériale a déjà été imposée. Concrètement, les anciens monopoles conservent officiellement la propriété de leurs réseaux, mais en perdent en réalité le contrôle. Dans ce cadre, le rôle des autorités de régulation a été fortement renforcé. Elles doivent non seulement assurer la non-discrimination en approuvant les tarifs et les conditions d’accès au réseau, mais interviennent aussi pour gérer les interconnexions, évaluer le niveau de transparence et de concurrence des marchés, et superviser la dissociation comptable. La propriété, n’est donc que théorique, puisque les opérateurs sont privés de la possibilité d’en disposer librement comme c’est normalement le cas sur un véritable marché. Sous prétexte d’assurer une égalité de traitement entre tous les clients des réseaux, ceux-ci sont réglementés et gérés séparément.
Les résultats d’une telle mesure ont été jugés insuffisants par la Commission, qui a proposé une totale dissociation des structures de propriété. Devant la résistance opposée par la France (EDF et GDF-Suez) et l’Allemagne (RWE et E. ON), une seconde possibilité est offerte aux opérateurs: le recours à un opérateur indépendant du système (ISO), c’est-à-dire à un gestionnaire totalement indépendant qui prendrait toutes les décisions concernant la gestion du réseau.
Dans les deux cas, ces réglementations reviennent à effectuer un quasi-démantèlement des entreprises actuelles qui pourraient se trouver fragilisées et, dès lors, menacées. Dans toute entreprise, l’investissement se fait de manière telle que les besoins les plus urgents des consommateurs puissent être satisfaits. C’est donc l’existence de besoins s’exprimant sur le marché qui détermine les décisions d’investissement. En séparant la gestion de son réseau et l’offre de services énergétiques, on brise cette coordination entre l’investissement et les besoins des consommateurs. Ceci est d’autant plus dangereux que la demande d’énergie est appelée à croître dans les années à venir.
Dans une telle situation, c’est une structure monopolistique créée par la réglementation qui devrait faire les choix d’investissement en étant cependant largement dépourvue des incitations lui permettant de les faire de la manière la plus efficace. Il faudrait donc recréer une coordination artificielle pour savoir où et combien investir. Les incitations à investir seraient moindres : L’opérateur historique, à qui il revient d’investir dans son réseau, n’en est plus propriétaire et ne sera pas le seul à en profiter : ses concurrents en tireront également avantage. Dès lors, pourquoi le ferait-il? Dans le cas du recours à un opérateur indépendant du système (ISO), la logique politique pourrait prendre le dessus sur la logique marchande dès lors qu’il s’agirait d’investir : la puissance publique, qui prend part à la décision, peut certes être sensible aux arguments économiques, mais également au clientélisme électoral ou aux pressions syndicales.
On mesure donc l’ampleur des dangers que les mesures de séparation de propriété introduites par la Commission peuvent faire planer sur le marché de l’énergie en Europe. Mais ces réglementations ne sont pas les seules imposées par la Commission européenne pour faire prévaloir sa vision de la concurrence.
Les autorités européennes souhaitent également que les anciens monopoles renégocient ou limitent la durée de leurs contrats d’approvisionnement à long terme. Selon elles, grâce à ceux-ci, ils auraient pu fermer aux nouveaux entrants, pour plusieurs années, le marché des gros acheteurs, parmi lesquels celui des revendeurs de gaz.
Pourtant, les contrats de long terme ne sont pas incompatibles avec la concurrence. Au contraire, ils présentent même de nombreux avantages pour les consommateurs. Ils leur permettent tout d’abord de bénéficier d’une stabilité des prix. Il en est de même pour le marché de l’électricité où, ainsi que l’explique Séverin Borenstein, ils permettent « d’éviter de larges fluctuations des factures électriques quand des décalages surviennent [entre l’offre et la demande] »[[« The trouble with electricity markets: Understanding California’s restructuring disaster », Séverin Borenstein, in Journal of Economic Perspectives, Vol. 16, No 1, Hiver 2002.]]. Ceci n’est pas négligeable, quand on sait à quel point la volatilité des prix de l’énergie peut être grande.
Les contrats d’approvisionnement à long terme sont également une condition préalable à certaines décisions importantes d’investissements. En effet, qui pourrait se lancer dans des investissements très lourds, par exemple pour construire des gazoducs, s’il n’a pas la certitude que ces conduites pourront lui permettre de transporter du gaz pendant des années?
Mais le discours de la Commission européenne est tout autre. Sous sa pression, le belge Distrigaz a déjà limité la durée de ses contrats d’approvisionnement à long terme. L’Union européenne s’est alors empressée de faire savoir aux autres opérateurs qu’ils pourraient éviter de futures poursuites antitrust en faisant de même.
Au nom de la concurrence européenne, ce sont donc deux types de mesures anticoncurrentielles qui sont imposés par les régulateurs européens : la séparation de propriété et la renégociation des contrats d’approvisionnement à long terme. À cela s’ajoutent d’autres réglementations : contrôle des prix pour les ménages à faibles revenus, recours imposé aux énergies renouvelables, limitation de l’usage du nucléaire dans certaines États, normes visant à faciliter la rupture des contrats, etc. En plus de nuire à la concurrence et, in fine, au consommateur, par des prix plus élevés, ces dispositions auront leurs propres effets pervers. Mais quand ils se manifesteront, c’est probablement le libre marché qui sera accusé !
Guillaume Vuillemey est chercheur à l’Institut économique Molinari.