La dette publique n’est-elle jamais remboursée ?
Article publié sur LeMonde.fr, le 30 mars 2009.
Si certains politiciens peuvent avoir l’impression que la dette n’est jamais remboursée, c’est paradoxalement parce qu’elle est continuellement remboursée et renouvelée. Alors que certains concluent ainsi que la dette publique est bénéfique pour l’économie et consiste en un investissement, la réalité économique est toute autre.
Plusieurs analystes et hommes d’État ont tendance à traiter la dette publique avec négligence et insouciance. Cette attitude a été parfaitement illustrée par la nonchalance du sénateur Jean-Luc Mélenchon qui déclarait en 2006 que « de toute manière, l’État ne rembourse jamais ses dettes ». Si certains politiciens peuvent avoir l’impression que la dette n’est jamais remboursée, c’est paradoxalement parce qu’elle est continuellement remboursée et renouvelée. Et si Jean-Paul Fitoussi va encore plus loin en déclarant récemment (Le Monde du 2 février 2009) que la dette fera le « bonheur économique de nos petits enfants », il semble oublier le risque qu’elle représente pour l’État français et ses contribuables.
Alors que certains concluent ainsi que la dette publique est bénéfique pour l’économie et consiste en un investissement, la réalité économique est toute autre.
La part d’investissement dans le budget national représente en fait moins de 10 %. Le rapport Pébereau, rendu en 2005, sonnait déjà l’alarme en soulignant le poids grandissant de la dépense de fonctionnement dans la dette publique française. La part d’investissement est donc négligeable : la dette risque de peser sur les générations futures plutôt que de faire leur bonheur.
Au 30 décembre 2008 cette dette, soit la dette de l’État et les dettes des administrations publiques, était déjà d’environ 1300 milliards d’euros. Représentant 73,9 % de toute l’activité économique estimée en France en 2009, elle dépasse depuis plus de 5 ans la limite fixée par le Pacte européen de stabilité et de croissance. La présente crise la verra pourtant encore augmenter sensiblement. D’une part parce que le ralentissement économique réduira les recettes de l’impôt, et d’autre part parce que l’État s’engage à tenter de relancer l’économie par ses dépenses.
Paradoxalement, si la dette publique donne l’impression de n’être jamais remboursée et de ne jamais diminuer, c’est justement parce qu’elle est au contraire continuellement remboursée et renouvelée.
Cette année par exemple, ce seront plus de 110 milliards d’euros de nouveaux emprunts qui seront réalisés uniquement pour rembourser d’anciens emprunts de l’État. Et ce sans même compter le paiement des intérêts, qui représentent pour l’instant près de la moitié du déficit et environ 10 % du budget national soit 45 milliards d’euros ! Les intérêts à eux seuls représentent une facture qui dépasse le budget de la justice et de celui de la recherche et de l’enseignement supérieur réunis ! L’État rembourse donc bien sa dette, mais aussi les intérêts de celle-ci.
Mais ce n’est pas tout. Si l’assouplissement du Pacte de stabilité et de croissance élimine un obstacle institutionnel à l’augmentation de la dette, son abandon ne signifie pas pour autant que l’État puisse s’endetter sans limites. Le risque d’une dette nationale importante, c’est que l’État soit incapable de réaliser de nouveaux emprunts, notamment si la note de sa dette devait se dégrader.
Lorsque les intérêts à payer sur la dette augmentent tellement que les investisseurs anticipent qu’un État aura du mal à rembourser – comme ce fut récemment le cas avec la Grèce, le Portugal et l’Espagne –, le coût de leurs emprunts augmente. Le coût de service de la dette déjà accumulée augmente aussi et pourrait atteindre un point où les recettes de l’impôt n’arrivent plus à le couvrir.
Alors incapable d’emprunter à cause de taux d’intérêt qu’il ne peut payer, l’État serait dans l’incapacité d’assurer son propre fonctionnement tel que prévu dans le budget national, et ses futures marges de manouvre seraient réduites. Si un tel scénario venait à se réaliser, l’État devrait alors se déclarer en cessation de paiement. Étant donné tout ce que finance aujourd’hui la dépense publique, on imagine la catastrophe !
Il faudrait alors, faute de l’avoir fait progressivement, réformer dans l’urgence et couper du jour au lendemain dans les dépenses publiques. De nombreux services seraient bloqués et un profond malaise économique et social s’installerait.
Il faut bien veiller à ne pas traiter la dette publique avec légèreté. Sa taille et sa croissance présentent un risque pour l’économie française, et elle se fait au prix de la croissance de l’activité économique. La laisser croître librement risque de nous plonger dans une crise économique encore plus sévère que la récession actuelle. C’est une chose qu’il ne faut pas oublier lorsqu’on appelle à plus de dépense publique.