Hadopi : méfions-nous des protections qui paralysent
Article publié le 08 septembre 2009 dans La Tribune.
En France, pas facile d’aborder un sujet sans évoquer immédiatement une réglementation ou une interdiction. Ceci est bien entendu valable dans le secteur le plus dynamique de l’économie, les technologies de l’information, et en particulier la diffusion de contenus pour laquelle le gouvernement prépare une troisième version de la fameuse loi Hadopi. Si ce secteur échappe encore pour partie à l’avalanche de réglementations, il pourrait bien subir le même sort que celui de la santé ou de la retraite où les choses semblent avoir été figées à tout jamais en dépit des nombreux défis posés. Comme les autres, ce domaine risque d’être immobilisé par le recours pavlovien des décideurs politiques à de nouvelles régulations, alors qu’il aurait été plus efficace de laisser les acteurs libres de trouver les solutions appropriées aux souhaits des consommateurs.
Afin de favoriser la diffusion et la protection de la création sur Internet, les pouvoirs publics ont souhaité faire des fournisseurs d’accès à l’Internet (FAI) des gendarmes de la Toile. L’idée est de les pousser à dénoncer, pour pouvoir sanctionner les internautes téléchargeant «illégalement» sur le Web.
Une démarche qui rappelle celle de la loi sur la confiance dans le numérique où la jurisprudence a décidé de faire des plates-formes de ventes sur Internet comme eBay, les gendarmes de ventes illégales. Comme les ventes de contrefaçons ou les ventes non autorisées de produits de luxe par des distributeurs peu respectueux des contrats les liant à leur fournisseur.
Autre projet, celui de taxer les FAI pour sauver une presse française qui a bien du mal à renouveler un «business model» en berne. Parce que le réseau génère un trafic considérable et des revenus importants, la cogérante du journal Libération, Nathalie Collin, suggérait de répartir ces revenus en faveur de la presse.
L’émergence de l’Internet fixe et maintenant du mobile a bouleversé le business de nombreuses entreprises comme celui de la presse, des producteurs de musique ou de films, mais aussi des industries du luxe. Un bouleversement dans lequel les nouveaux acteurs tels que les fournisseurs d’accès ou les sites de commerce électronique (Amazon, eBay, etc.) ont su capter une valeur qui s’est déplacée au fur et à mesure du développement de ces nouvelles technologies.
Rien de plus banal à vrai dire que ce phénomène de transfert de valeur ou de création de nouvelle valeur. Quand la technologie permet de s’éclairer à l’électricité plutôt qu’à la bougie et que les individus trouvent le nouveau procédé supérieur au premier, cela sonne le glas de l’industrie de la bougie.
Ces périodes de transition ne sont jamais aisées. Mais faut-il condamner l’avenir d’une technologie plébiscitée par ses usagers afin de protéger les vieilles industries? Faut-il taxer les nouveaux acteurs et les encombrer de nombreux obstacles ou bien laisser aux consommateurs le droit de choisir dans ce domaine? À charge pour les entreprises de savoir se renouveler et innover dans les marchés d’avenir pour répondre à la demande qui émerge.
D’autant plus que les nouvelles technologies offrent des solutions visant à permettre la rémunération des auteurs. Ainsi, le site Internet Youtube.com offre aujourd’hui aux artistes la possibilité de placer une publicité faisant la promotion de leur site de vente à chaque fois qu’un de leurs morceaux est utilisé dans une vidéo. Voilà une innovation technologique qui sans interdire la diffusion des oeuvres permet leur rémunération. Les célèbres comiques anglais Monty Python en savent quelque chose. Ils ont créé en 2008 le Monty Python Channel sur Youtube. On y trouve des dizaines de morceaux choisis assortis de liens vers Amazon pour acheter le DVD correspondant. Depuis, ils auraient renoué avec le succès?! Autre nouveauté, l’accord signé entre Youtube et les majors du cinéma pour diffuser, en même temps que la sortie des DVD, les films sur le site pour 3,99 dollars.
À vouloir tout contrôler via des réglementations ou des «directeurs interdictions», on prend le risque en France de passer à côté d’innovations majeures dans le domaine des nouvelles technologies. Si elles sont à l’origine de profonds bouleversements économiques, elles offrent aussi des solutions aux défis qu’elles posent. Et si plutôt que de réglementer, on laissait les acteurs trouver les solutions aux problèmes d’aujourd’hui, qui seront elles-mêmes les voies de la croissance de demain?
*Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari