Supprimez vraiment les 35 heures !
Article publié dans Le Figaro le 16 décembre 2009.
Il y a dix ans (déjà !), l’Assemblée nationale adoptait le second projet de loi sur les 35 heures de Martine Aubry. Sinistre anniversaire pour une loi symbolique, objet de tous les clivages et enjeu électoral majeur. Nicolas Sarkozy avait promis de revenir dessus. Il l’a en partie fait, par des moyens détournés, mais n’a hélas pas encore osé le choc positif magistral que constituerait la proclamation, en France, d’une liberté pleine et entière du temps de travail.
Il sait, pourtant, que le « partage du travail » ne crée pas d’emplois. Il est conscient, puisqu’il l’a proclamé à de multiples reprises, que cette réglementation autoritaire, qui voudrait que nous chaussions tous du 35, est un non sens économique, philosophique et social. Il ne peut ignorer qu’en période de crise, alors même que le chômage redevient la préoccupation numéro 1, les 35 heures, même assouplies, sont un frein psychologique majeur à l’embauche, à la compétitivité et à l’installation d’entreprises étrangères sur notre territoire. Le fameux « réalisme politique », cette supposée sagesse qui habite les conseillers du Prince et qui les invite à préférer le détricotage par voie administrative à la proclamation vertueuse d’une liberté recouvrée, l’a emporté sur l’ambition de rupture.
Tous ceux qui pensent que la réduction du temps de travail est une preuve de modernité seront sans doute déçus d’apprendre qu’elle appartient totalement au passé. Thomas More, le plus célèbre des précurseurs du socialisme, décrit dans Utopie (1516) une société « parfaite » dans laquelle les oppositions entre riches et pauvres et entre travailleurs et oisifs sont remplacées par une égalisation autoritaire des conditions : toutes les maisons sont semblables; il n’y a plus de domestiques ; la propriété privée est supprimée pour mettre fin aux comportements d’accumulation qu’il dit responsables de la pauvreté et le travail, qui est obligatoire, est réduit à six heures par jour pour permettre aux utopiens de consacrer plus de temps à la culture et au développement personnel. En 1883, Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx, affirmait que pour donner du travail à tous et élever à l’intelligence des ouvriers « abêtis par leurs vices », il faut le partager.
Après la semaine de travail de 40 heures (1936), celle de 39 heures (1982), la France a connu près d’une dizaine de lois relatives à la réduction du temps de travail ces 15 dernières années. Sans oublier, au passage, la loi pétainiste du 13 août 1940 qui devait, grâce à la « limitation de la durée du travail », permettre la « répartition du travail disponible entre le plus grand nombre ». Toutes ces initiatives, de droite et de gauche, ont hyper-complexifié notre droit du travail et installé l’idée – totalement fausse – que le rationnement contraint du travail impliquerait mieux être collectif.
Le bon sens, le raisonnement économique comme les analyses économétriques attestent tous que la réduction imposée du temps de travail n’augmente pas durablement le nombre d’emplois créés. Les économistes Patrick Artus, Pierre Cahuc et André Zylberberg, qui ont fait un travail remarquable en la matière, l’affirment : « nous avons montré, à la lumière des travaux empiriques disponibles, que les diminutions de la durée légale du travail, de sa durée maximale, ou des changements des taux de majoration des heures supplémentaires n’ont aucune raison d’accroître l’emploi ».
Au contraire, le seul moyen d’accéder à la prospérité est de libérer le travail et d’inciter ceux qui le peuvent et ceux qui le souhaitent à fournir les efforts nécessaires pour améliorer leur existence, produire, épargner et accumuler du capital. Leur développement entraînera celui des autres et provoquera des créations d’entreprises et d’emplois et des augmentations de salaires. La liberté du temps de travail doit, pour cette raison, s’accompagner d’une authentique dynamique fiscale visant à lever les mécanismes décincitatifs à l’effort et à l’embauche.
Alors que les dettes et les déficits publics grimpent en flèche, que les sujets « retraite » et « sécurité sociale » se font chaque jour plus menaçants, que le chômage monte en puissance et que les libertés sont trop souvent malmenées, il est urgent de réaliser que la proclamation en fanfare d’un marché du travail libre et flexible serait un atout gigantesque et offrirait à notre pays et aux yeux du monde le signal fort d’une France tournant enfin le dos à ses vieux démons et s’armant efficacement pour faire face à ses défis internes comme au reste du monde. En cette veille de Noël, qu’il nous soit permis d’y croire encore…
Mathieu Laine est président d’Altermind et auteur de Post politique (JC Lattès), Cécile Philippe est directrice de l’Institut économique Molinari.