Haro sur Google
Article publié dans le journal l’Agefi le 25 janvier 2010.
L’année commence avec un projet de nouvelle taxe: la Taxe Google. Le gouvernement actuel n’est plus à une taxe près et il est fort à parier que l’année ne se terminera pas sans que Google fasse de nombreuses fois encore les manchettes. Après l’attaque de la fédération des journaux italiens, puis celle de Rupert Murdoch, voilà que le président français explique en ce début d’année que les grands portails et moteurs de recherche internationaux « ponctionnent une part importante de notre marché publicitaire. Cela s’appelle de la fuite de matière fiscale et c’est particulièrement dommageable. »
Cette position est directement inspirée du rapport Zelnik, lui-même à l’origine de cette idée de taxer « les grandes sociétés opérant des services supports de publicité en ligne. » Aussitôt était-elle mentionnée qu’on la baptisait de taxe Google augurant bien de la « place de choix » qu’a maintenant Google pour les décideurs publics. Cette nouvelle taxe a pour but de rémunérer les créateurs de contenu. Reste qu’elle stigmatise avant tout à quel point le gouvernement actuel est sur la mauvaise voie.
La première erreur consiste à croire qu’à coup de taxation, on peut résoudre une mutation économique profonde. Ni les décrets ni les taxes n’auraient pu empêcher la disparition des bougies pour s’éclairer, des charbonnages de France ou encore de l’industrie du textile. Au mieux, ils la retardent. Le gouvernement actuel semble pourtant persuadé que les industries du disque, du livre ou du cinéma – telles qu’elles existent aujourd’hui – doivent être sauvées au nom notamment des emplois et des intérêts qu’elles représentent.
L’objectif paraît certainement louable mais ce faisant, on oublie que cela se fait au dépend d’une industrie naissante et des emplois qu’elle représente. Car la valeur se déplace au gré des souhaits des consommateurs qui s’ils ne semblent plus enclins à payer aussi cher des CD, DVD, livres et autres produits culturels sont néanmoins avides d’information en tout genre.
Ce n’est pas à l’État – via des taxes – de se substituer à la capacité d’une industrie de se régénérer et d’innover. L’industrie culturelle « établie » rencontre aujourd’hui une difficulté majeure à rentabiliser ses contenus. A elle de trouver des moyens et techniques innovants pour y remédier. On ne peut pas reprocher au marché de ne pas fonctionner ou d’être défaillant si dès que des intérêts particuliers sont en jeu, les pouvoirs publics volent à leur secours. Qui plus est, ne perdons pas de vue que des moteurs de recherche comme Google ou Yahoo rendent visibles quantité de contenus qui ne l’étaient auparavant pas.
La deuxième erreur est justement d’invoquer le droit de la concurrence pour justifier une politique qui va à son encontre. En effet, le rapport de la mission Zelnik ne trouve rien de mieux que de préconiser « que le gouvernement saisisse l’Autorité de la concurrence d’une demande d’avis sur le fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la publicité en ligne. » (p. 12) Le rapport précise que cette mesure est intimement liée à l’inquiétude que se font de nombreux éditeurs de sites culturels et de presse sur Internet face à la baisse de leurs recettes publicitaires.
Ceci n’a rien de nouveau. Déjà à la fin du 19ème siècle, les progrès spectaculaires dans le secteur de la commercialisation de la viande bovine aux États-Unis avaient conduit à des baisses de prix au consommateur drastiques si bien que des éleveurs et bouchers négativement impactés s’organisèrent afin de faire passer une législation antitrust. Plus récemment, Microsoft a été attaqué par Sun microsystems, Opera, etc., Intel par AMD, Google par les journaux italiens pour ne citer qu’eux.
On trouve presque toujours à l’origine de ces cas dits « anticoncurrentiels », des concurrents frustrés de voir leurs affaires en berne et avides de décisions politiques qui vont leur donner quelques années supplémentaires de choux gras.
La guerre qui s’engage à l’égard de Google est un nouvel exemple de cette spirale interventionniste infernale dans laquelle nos sociétés développées s’enfoncent toujours plus. Plutôt que de reconnaître que le marché – sans être parfait – fonctionne si on fait respecter les droits de propriété des uns et des autres, chacun y va de sa nouvelle règle au point in fine de décider politiquement qui peut faire des profits.
Cette collusion entre affaires et politique est nuisible pour l’ensemble des consommateurs car ces derniers se trouvent exclus du processus même qu’ils devraient être les seuls à contrôler. Plus grave, la centralisation des décisions économiques dans les mains des politiques n’est pas efficace car il leur manque un élément important que le marché a : la boussole des prix. Grâce à eux, il devient possible de calculer de vrais profits et de vraies pertes qui aboutissent à décider si un certain type de capital doit ou pas rester dans une industrie.
En ces temps de crise qui consacrent l’interventionnisme étatique et rendent les rentées fiscales plus importantes et en même temps plus précaires que jamais, il faut raison garder. Il n’est jamais trop tard pour faire machine arrière lorsqu’on fait face à un précipice. Le président ferait bien de cesser d’écouter les sirènes des pleureurs et laisser faire ceux qui sauront innover et ainsi nous créer un avenir meilleur.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari