Anatomie de la récession actuelle
Article publié en anglais sur le site du Independent Institute le 25 février 2010.
Tout le monde n’a pas le courage de consulter les comptes de produits et de revenus nationaux, il y a pourtant beaucoup à y apprendre sur l’état de l’économie actuelle et sur ses perspectives de retour à une situation plus saine. (Je tire les données dont je discute ici du tableau B-2, «Le produit intérieur brut, 1960-2009», de l’annexe statistique qui accompagne le rapport de 2010 du Comité des conseillers économiques du Président.)
On nous a bien sûr dit que le produit intérieur brut réel avait chuté au deuxième trimestre 2008 après avoir atteint un pic. Les données montrent une chute de près de 4% au deuxième trimestre 2009. Cette baisse est sans comparaison sérieuse avec celle du PIB réel pendant la Grande Dépression d’environ 30% entre 1929 et 1933. Elle a néanmoins engendré un grand nombre de difficultés et de déconvenues pour les nombreuses personnes qui avaient anticipé une croissance économique soutenue. Entre le deuxième trimestre et le quatrième trimestre 2009, le PIB réel a progressé d’environ 2%, ce qui a compensé de près de la moitié la baisse précédente.
Comment comprendre que les prophètes de malheur aient pu être si nombreux au cours des deux dernières années, alors que la baisse de la production nationale a été in fine relativement faible. Pour cela, examinons, entre autres les composants du produit national. Ce faisant, nous trouvons par exemple un élément caractéristique d’un marasme économique, à savoir que les dépenses de consommation privée se sont mieux maintenues que les dépenses d’investissement privé. Elles ont baissé de moins de 2%, et cette baisse a presque été effacée au cours du troisième et du quatrième trimestre 2009, de sorte qu’au dernier trimestre de l’année dernière, les dépenses réelles de consommation privée étaient seulement inférieures d’1% à ce qu’elles étaient à leur sommet au 4ème trimestre de l’année précédente.
Ainsi, à en juger par ce qui s’est passé au niveau du PIB et de la consommation privée, on pourrait penser que la récession est restée de faible ampleur. En effet, en quoi une diminution de 2% de notre consommation peut-elle influer dramatiquement sur notre mode de vie ? Ne faudrait-il pas en conclure qu’il ne sera pas difficile de sortir du marasme économique actuel au cours des 4 trimestres prochains ?
Une telle conclusion serait une erreur parce que même si les média ne cessent de nous parler de l’importance des dépenses de consommation dans la formation du PIB, il faut néanmoins réaliser que la consommation ne permet pas une croissance économique durable. Le progrès économique réel repose sur un taux élevé d’investissements, – en particulier des achats par les entreprises de structures, d’équipements, de logiciels, et des stocks bien fournis, – et sur ce front, les nouvelles sont bien plus sombres et les perspectives de reprise rapide moins encourageantes.
L’investissement intérieur brut privé a culminé en 2006. Entre le premier trimestre de cette année là et le deuxième trimestre de 2009, il a baissé de près de 34%. Au cours des deux trimestres suivants, il n’a augmenté que de 10%, de sorte que l’année dernière il était encore (mesuré en rythme annuel) d’environ 29% inférieur à son niveau atteint début de 2006. Une telle baise dans les dépenses d’investissement laisse présager une période prolongée de faible croissance économique dans les années à venir, et peut-être même à plus long terme. Une croissance économique durable et rapide ne repose pas sur des équipements usagés, des logiciels obsolètes, des structures mal entretenues et de faibles stocks.
L’assèchement actuel de l’investissement n’est pas seulement un reflet de la chute du marché immobilier suite au boom qui l’avait propulsé à son pic en 2005. Il n’y a pas de doute, l’investissement résidentiel réel a énormément chuté, de presque 53% entre 2005 et 2009, avec une baisse particulièrement rapide durant les 3 dernières années. Cependant, l’investissement non résidentiel réel a aussi beaucoup fléchi l’année dernière, soit de 18% par rapport à son plus haut niveau de 2008. Même les investissements en équipements et en logiciels – moins dépendants des fluctuations à la hausse ou à la baisse du marché immobilier – ont décliné de 17% l’année dernière, après s’être maintenus à des niveaux élevés durant les trois années précédentes. Les entreprises ont aussi fui les investissements nécessaires pour la reconstitution de leurs stocks, diminuant les inventaires de 125 milliards de $ en 2009, après les avoir réduits de 35 milliards de $ en 2008.
Si les dépenses d’investissement ont pris un coup sévère en termes réels, les dépenses du gouvernement fédéral ont quant à elles fortement augmenté. Entre 2007 et 2009, les achats de produits et de services par le gouvernement fédéral – soit la « contribution » fédérale au PIB – ont augmenté de plus de 13% en dollars constants. Malheureusement, alors que l’investissement privé est le moteur de la croissance économique, les dépenses publiques en sont le frein (en dépit de ce qu’ont prétendu des générations d’économistes d’obédience keynésienne). Bien que des achats publics plus importants augmentent par définition le produit national dans les calculs officiels, leur impact est essentiellement préjudiciable et ne permet pas une croissance économique durable.
Pour comprendre cette relation nuisible, il faut s’intéresser à la façon dont les autorités décident d’augmenter les dépenses fédérales, à savoir que ces décisions sont prises dans un cadre politique dépourvu de rationalité économique. De plus, il faut examiner comment la croissance de l’État écrase le fonctionnement de l’économie privée. Il apparaît dans cette perspective que l’emballement de la dépense publique ne renforce pas l’économie. Son défaut n’est pas seulement d’essayer de compenser les « fuites » de revenu, comme se l’imaginent les Keynésiens ou d’évincer une activité économique privée qui serait rentable. Bien plus grave, elle coupe, pénalise et distord les tentatives d’une création authentique de richesse de la part des acteurs privés. Des réglementations renforcées, des impôts supplémentaires et des prises de contrôle de l’État dans les entreprises sont des « tueurs » bien connus de la croissance économique. (…)
Le pire dans tout cela est que la « famine » de l’investissement et le « festin » de la dépense publique ne sont pas de simples coïncidences, mais sont connectés de manière causale. L’explosion de la taille, de l’envergure et du pouvoir de l’État fédéral depuis le milieu de 2008 a créé une incertitude énorme dans l’esprit des investisseurs. La création de nouveaux impôts et l’augmentation des taux d’impôts déjà existants, le fardeau de la mise en conformité avec la nouvelle réglementation énergétique et les dépenses de santé obligatoires, une nouvelle supervision étatique intrinsèquement arbitraire de ce qu’on appelle les risques systémiques associés à tous types d’entreprise – tous ces éléments et d’autres encore doivent faire réfléchir tous ceux qui envisagent un investissement à long terme, parce que chacune d’entre elles a le potentiel de transformer ce qui semble être un investissement rentable en une source de pertes considérables. En bref, l’incertitude politique a atteint aujourd’hui un niveau que peu de gens ont connu aux États-Unis. Pour trouver une situation comparable, il faut remonter aux années 1930 et 1940 et aux menaces du New Deal et de la Seconde Guerre mondiale.
A moins que le gouvernement n’agisse rapidement pour lever la demi-douzaine d’incertitudes qui menacent de nuire aux entreprises, les investisseurs resteront pour la plupart sur la touche. Ils protégeront leur richesse en gardant du cash ou en investissant à court terme, à faible risque et à faible rendement, ou encore ils la consommeront alors qu’elle aurait autrement pu être investie. Si cette situation perdure pendant plusieurs années encore, l’économie américaine pourrait bien connaître sa seconde « décennie perdue », pour les mêmes raisons qu’elle a subi sa première dans les années 1930.
Robert Higgs est Senior Fellow en économie politique au Independent Institute et éditeur du journal de l’Institut, The Independent Review.