L’employé moyen belge travaille à payer ses taxes jusqu’en août – La charge est lourde lorsque seule la moitié de la population travaille – Flat tax? Lire entre les lignes
Traduction d’un article publié le 26 mai 2010 dans le journal L’Anglophone.
Une analyse des revenus en Europe et un calcul des taxes payées, fourni par Ernst & Young, révèlent que l’employé belge type est le travailleur le plus taxé d’Europe de l’Ouest. Dans ce rapport exclusif, L’Anglophone propose un classement du fardeau fiscal qui pèse sur l’employé moyen de chacun des 27 pays membres de l’Union européenne.
Dans son classement annuel, appelé le Tax Misery Index qui place la Belgique à la 3e place, le magazine Forbes passe en revue le fardeau subi par les employés qui gagnent entre 50 000 et 1000 000 d’euros (bruts) par an. Si on gagne un million d’euros par an, précise Forbes, la Belgique est le 2e pays le moins fiscalement accueillant.
Des instituts de recherche ont aussi montré que la Belgique est loin d’être un paradis pour les hauts salaires et les entrepreneurs. Selon le classement 2009 de l’Institut Fraser Economic Freedom of the World, la Belgique n’arrive qu’à la 47ème place des pays les plus «libres» dans le monde, juste en dessous de la Jamaïque, et à la 20e place dans l’Union européenne. Un autre institut, basé à Washington, le Heritage Foundation, la place quant à lui, dans son édition annuelle de l’Index of Economic Freedom, 8e dans l’UE et 20e au niveau mondial – juste après le Japon, ce qui est sans doute plus rassurant.
Les étrangers qui gagnent des hauts salaires s’en plaignent, mais les impôts belges sont-ils réellement aussi élevés pour l’employé lambda?
Dans toutes ces études, le taux marginal maximum d’imposition belge (50% auquel il faut ajouter les taxes communales qui peuvent représenter jusqu’à 9%) entre dans les calculs. Mais comme le souligne l’Observateur de l’OCDE, l’impôt sur le revenu n’est pas le seul impôt prélevé sur les salaires, et se focaliser ainsi sur les seuls taux qui font les manchettes peut être trompeur. En effet, dans de nombreux pays européens, l’impôt sur le revenu est alourdi par les charges sociales.
Il est évident que les salariés ne paient pas tous le taux d’imposition maximum. Qu’en est-il de M. Tout-le-monde qui gagne le salaire moyen belge? Comment se compare-t-il à ses voisins européens? Pour répondre à ceux qui ne sont pas des «eurocrates», exonérés d’impôts, ou des «expats» aux contrats juteux, L’Anglophone a décidé de trouver la réponse. Nous avons recherché les salaires moyens dans les 27 pays membres de l’UE et demandé au cabinet de consulting Ernst & Young de nous fournir les données fiscales les concernant.
Les résultats montrent que lorsqu’on ajoute les charges sociales et ses impôts, le salarié moyen belge est le plus taxé en Europe occidentale, et le 2e plus taxé dans l’UE (la Hongrie gagne la place « d’honneur » avec un taux de 56,55%; ainsi lorsque le Commissaire européen appelle de Budapest à l’harmonisation fiscale, il y a de quoi frémir!)
Selon Eurostat, le salaire brut moyen belge d’un employé dans le secteur de l’industrie et des services était de 37 674 euros en 2006. Il faut ajouter à ce salaire 11 501 euros que l’employeur doit payer en charges sociales obligatoires, ce qui fait grimper le coût total du travail à 49 175 euros. La paie nette de l’employé n’est que de 21 903 euros, soit 44,54% du coût total de main-d’oeuvre; les prélèvements obligatoires, i.e. les impôts et les cotisations de sécurité sociale, s’élèvent ainsi à 55,46% de son revenu brut « réel ».
En ce qui concerne le taux marginal maximal: oui, il pèse bel et bien sur notre travailleur belge moyen; pour 2010, le taux de 50% s’applique à chaque euro gagné au-delà d’un salaire brut de 34 300 euros.
Autres résultats
Le mythe de l’impôt à taux unique («flat tax») ?
La plupart des États membres de l’UE ont des systèmes fiscaux « progressifs » au sein desquels les contribuables sont soumis à des taux d’imposition d’autant plus élevés qu’ils gagnent des revenus plus importants. Sept pays – la Bulgarie, la République Tchèque, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie et la Slovaquie – ont adopté un système fiscal à taux unique, souvent inférieur à 20%, qui s’applique à tous les revenus.
Le taux unique s’applique généralement en matière d’impôt sur le revenu, sans toucher les cotisations sociales. Ainsi, en Slovaquie il est de 19%, mais les employeurs slovaques doivent payer des contributions sociales patronales qui s’élèvent à 35,2% (davantage même que le taux belge de 34,8%). Parallèlement, les employés doivent aussi payer 13,4% de leurs salaires en cotisations salariales (soit, là aussi, plus que les 13,1% en vigueur en Belgique). L’employé slovaque typique est par conséquent loin de vivre dans un État à faible pression fiscale, si on se fie au calendrier des « jours de libération fiscales » (JLF). Il travaille un jour de plus pour se débarrasser de son fardeau fiscal que l’employé finlandais.
Pris dans leur ensemble, les pays à taux d’imposition unique ont un fardeau fiscal plus important avec des prélèvements obligatoires représentant 40,3% du coût total du travail, par comparaison au groupe des pays à système fiscal « progressif » (40,2%). Ainsi, la « flat tax » en tant que telle ne permet pas de mesurer la pression fiscale qui pèse sur les travailleurs.
Méthode de calcul et concept de salaire brut «réel»
L’Anglophone a analysé les données correspondant à l’impôt sur le revenu, aux cotisations sociales et à la TVA que paient les employés gagnant le salaire moyen dans chacun des pays membres de l’UE. Les statistiques des salaires moyens sont publiées par l’OCDE et Eurostat. Les prélèvements en matière d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales ont été calculés par Ernst & Young.
Pour simplifier, les chiffres concernent des employés célibataires et sans enfants. De plus, on a supposé que le travailleur lambda belge n’avait pas d’autre source de revenu et qu’il loue son logement. Il ne paie donc ni taxe d’habitation ni taxe foncière de même qu’il ne bénéficie d’aucune déduction fiscale liée aux intérêts de remboursement d’un prêt.
Les calculs ont tenu compte des cotisations sociales patronales, qui viennent se rajouter au salaire brut reçu par le salarié. Elles sont souvent versées à son insu. Le résultat obtenu est ce que nous appelons le salaire brut « réel ».
Autres taxes et « jour de libération fiscale »
De nombreux think-tanks et groupes de consommateurs calculent les jours de libération fiscale de différents pays dans le monde. Leur but est de déterminer la date à partir de laquelle un citoyen cesse de travailler pour payer ses taxes et commence à bénéficier des fruits de son labeur.
PriceWaterhouseCoopers (PWC) par exemple divise le montant total de l’impôt en Belgique (ce qui inclut les charges sociales) par le PIB du pays. Il obtint ainsi en 2009 la date du 10 juin. Leurs chiffres prennent en compte toutes les taxes (y compris l’impôt sur les sociétés, les taxes sur l’essence, les cigarettes, etc.) et offrent donc une image plus complète du fardeau fiscal total belge.
Les données de PWC représentent cependant des moyennes appliquées à tous les Belges et pas seulement aux travailleurs belges; en 2008, moins de la moitié de la population (4.99 millions sur 10.67 millions de citoyens) travaillait officiellement en Belgique. Par conséquent, une énorme part du fardeau fiscal de ce pays est portée par la seule population active.
Il est impossible de définir précisément l’impact de chaque impôt belge sur le travailleur moyen. L’Anglophone a cependant essayé d’estimer plus exactement le poids fiscal pesant sur ce travailleur en prenant en compte l’impact de la taxe sur la valeur ajoutée qui au sein de l’UE peut varier entre 15 et 25%.
Si le travailleur lambda dépense 35% de son revenu au paiement de son loyer (environ 550 euros par mois) et la moitié de ce qui lui reste à des dépenses exonérées de TVA, il paie un montant total de 1495 euros par an. Dans ce scénario, son fardeau passe à 28 767€, soit 58.5% de son salaire brut «réel».
Ainsi, ces chiffres indiquent que notre employé type belge travaille jusqu’au 2 août pour le gouvernement et que c’est seulement à partir du 3 août (son jour de libération fiscale ou JLF) qu’il travaille pour lui et peut décider à quoi dépenser son revenu.
Les JLF hypothétiques indiqués dans le tableau ci-contre vont du 13 mars (Chypre) au 6 août (Hongrie). Comme nos calculs ne sont pas aussi précis que ceux que certains organismes se prennent la peine de faire, nous avons visité le site de l’Adam Smith Institute, connu pour la précision de sa méthodologie dans le calcul du jour de libération fiscale du Royaume-Uni. Ils y proposent la date du 14 mai alors que nos données nous amènent à calculer leur JLF au 13 mai, soit un jour avant!
Une hausse insidieuse des taxes
D’autres taxes peuvent retarder le JLF des travailleurs. Un grand nombre d’entre elles restent inconnues du consommateur. Comme le soulignait le New York Times le 17 mars, «les contribuables, qu’ils soient californiens ou danois, devraient se protéger contre toutes sortes de taxes insidieuses comme des taxes de vente, des mini-taxes sur des services auparavant fournis gratuitement, comme l’enregistrement des animaux domestiques ».
En France, par exemple, Contribuables Associés rappelle que le gouvernement de Sarkozy a créé 20 nouvelles taxes depuis 2007: augmentation de la redevance audiovisuelle et du ticket modérateur, taxes sur les homards. Un article du Times mentionne quant à lui l’instauration de nouvelles taxes sur les bonbons en Finlande, sur les produits gras au Danemark et sur les permis de détention de chiens en Irlande du Nord.
En Belgique, le prix d’un paquet de cigarettes est resté stable mais le paquet ne contient plus que 19 cigarettes, soit une hausse de la taxe de 5%. Le travailleur moyen qui fume 20 cigarettes par jour, voit ses taxes augmenter de 1241 euros par an, soit 7 jours de plus à travailler pour l’État.
Les Îles : une belle surprise
Les Îles cachent une découverte insoupçonnée. Seulement 4 des 27 États membres de l’UE sont des îles, soit Chypre, Malte, l’Irlande et le Royaume-Uni. C’est aussi dans l’ordre, le classement des pays dont le fardeau fiscal est le plus léger pour le salarié moyen. Il y a sans doute anguille sous roche …
En avons-nous pour notre argent?
Une des questions qui se pose est la suivante: où en a-t-on le plus en échange des impôts que l’on paie ? Dans des pays limitrophes où les salaires sont proches comme la Hongrie et la Slovaquie, la qualité des services gouvernementaux peut-elle expliquer la différence des niveaux d’imposition? L’Anglophone laisse cette question aux think-tanks, politiciens et commentateurs.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari; James Rogers est éditeur de L’Anglophone.