Interdiction des betteraves génétiquement modifiées
Traduction d’un article publié dans le magazine Reason, le 17 août 2010.
En août dernier, un juge fédéral de la Cour de District de Californie du Nord a statué contre la plantation l’an prochain de betteraves à sucre génétiquement modifiées (GM). Pourquoi ? Parce qu’il a accepté l’argument des militants anti-OGM selon lequel le département américain de l’agriculture (USDA) devrait, avant toute autorisation de planter, publier un énoncé complet des incidences environnementales (EIS) dans le cadre du National Environmantal Policy Act. Un tel énoncé est exigé lorsqu’un organisme du gouvernement fédéral mène des actions qui pourraient « affecter de façon significative la qualité de l’environnement humain ».
Dans quelle mesure les betteraves à sucre GM (déjà approuvées par l’USDA) peuvent-elles affecter durablement l’environnement humain ? Les militants du Centre pour la sécurité alimentaire et ceux du Sierra Club ont défendu devant la Cour fédérale que les betteraves résistantes à l’herbicide glyphosate pourraient entraîner le développement de mauvaises herbes géantes ou encore pourraient se mélanger aux betteraves bio ou tout simplement non modifiées génériquement.
Rappelons quelques faits importants. Les betteraves à sucre fournissent la moitié du sucre produit aux États-Unis. Les betteraves GM ont été approuvées par l’USDA, il y a maintenant 5 ans. Les betteraves en question sont aujourd’hui si prisées des paysans qu’elles représentent 95% des récoltes. En fait, il se pourrait qu’il n’y ait plus assez de semences traditionnelles pour remplacer les semences GM lors des plantations l’an prochain.
Il faut aussi savoir que toutes les mauvaises herbes auxquelles on applique un herbicide tendent à devenir résistantes à celui-ci. Cela n’a rien de particulier aux OGM. De plus, la plupart des betteraves à sucre GM grandissent loin des betteraves bios ou rouges. Cela élimine les risques de croisement. (D’ailleurs, même si cela arrivait, les betteraves à sucre sont généralement récoltées avant de fleurir et n’ont donc tout simplement pas le temps de produire le pollen qui serait à l’origine du croisement.)
Plus généralement, il semble approprié de se demander pourquoi les paysans traditionnels qui cultivent cet OGM seraient-ils obligés de se conformer à des standards non scientifiques que les agriculteurs bio se sont imposés à eux-mêmes. Si ces derniers veulent à tout prix éviter les croisements, pourquoi ne pas envisager qu’ils paient les agriculteurs pour qu’ils plantent autre chose ou cherchent d’autre options que l’interdiction pure et simple. Il faut aussi savoir que le gouvernement américain a subventionné la production de sucre à partir de la betterave et limite les importations de sucre en provenance de pays producteurs moins chers. Ainsi, si les anti-OGM veulent substantiellement réduire la production de betterave GM, ils auraient tout intérêt à lutter contre les subventions et l’imposition de tarifs douaniers sur la betterave.
Une autre conséquence inquiétante de ces attaques non-scientifiques contre les OGM est de contribuer à ce que décrient souvent les militants anti-OGM, à savoir la consolidation au cours des deux dernières décennies de l’industrie semencières.
Je couvre régulièrement les événements organisés par des activistes au cours desquels l’entreprise Monsanto est décrite comme l’incarnation même du mal. Pourquoi ? Parce que cette entreprise monopoliserait la production de semences. L’année dernière, la firme Dupont, qui possède les semences hybrides de Pioneer, gros concurrence de Monsanto, affirmait dans le cadre de documents déposés auprès du département de justice américain que 95% du soja et 60% du maïs planté aux États-Unis contenait des gènes issus de la société Monsanto. Ce à quoi cette dernière a répondu qu’elle vendait un pourcentage bien moindre de semences sur le marché, tout en reconnaissant que la plupart des semenciers indépendants possèdent des licences et vendent des semences résistantes aux herbicides et aux insectes. De fait, les variétés de semences OGM sont devenues tellement populaires auprès des agriculteurs américains que les semences non génériquement modifiées de maïs, coton et soja ne représenteraient plus que 13% des variétés offertes l’an passé.
Il y a plusieurs décennies, on pouvait compter des centaines d’entreprises semencières en concurrence. Aujourd’hui, le marché américain des semences est dominé par Monsanto, Dupont et Syngenta. A eux trois, ils vendent plus de 40% des semences des principales récoltes aux US. Dans les années 90, les entreprises chimiques agricoles ont commencé à fusionner avec les entreprises de semence. Elles furent alors capables d’offrir des packages « semence de haute qualité/produits de traitement » très attractifs aux agriculteurs. Pour se faire une idée de l’attrait de ces offres, mentionnons ce cultivateur de coton californien qui expliquait récemment au magazine Forbes que le traitement à la main des mauvaises herbes d’un champ bio coûte 500$ alors que l’utilisation du glyphosate de Monsanto revient à 30$ par acre (environ 4000m2).
Ce processus d’intégration du secteur a été rendu indispensable du fait de la montée vertigineuse des réglementations et des procès favorisés par les militants anti-OGM. Les cultures OGM doivent, pour des raisons de santé et d’environnement, obtenir l’aval de l’USDA, de l’Agence de protection environnementales (EPA) et de la FDA. Le système est en train de devenir aussi compliqué et onéreux que celui qui est imposé aux entreprises pharmaceutiques. En mettant les cultures sur le même plan que les médicaments, le gouvernement et les activistes rendent le processus d’approbation toujours plus coûteux. C’est ainsi que « seules les grandes firmes à la recherche de cultures à haut rendement sont prêtes à aligner les montants nécessaires à l’approbation à usage commercial d’un produit transgénique » affirme Gregory Conko de l’institut CEI (Competitive Entreprise Institute) et co-auteur de The Frankenfood Myth : How Protest and Politics Threaten the Biotech Revolution. Il ajoute : « les nouvelles exigences vont bien entendu rendre le processus d’approbation encore plus long et coûteux. » Tout cela pour le plus grand bénéfice des actionnaires de Monsanto.
Seules les très grosses entreprises pourront porter le coût financier et légal d’un processus d’approbation toujours plus pointilleux et elles privilégieront les semences qui rapportent gros : maïs, soja, canola et coton. Les cultures plus confidentielles comme celles de la tomate ou du haricot vert feront difficilement l’objet d’investissements importants.
Conko remarque également que « les exigences EIS ont depuis longtemps cessé de porter uniquement sur l’impact environnemental d’une plante mais intègrent dorénavant tous les effets potentiels de sa culture sur ‘l’environnement humain’. Les Cours de justice interprètent ce concept de façon large, en analysant leurs effets économiques et sociaux. » Il est évident que l’introduction de nouvelles cultures aura des effets économiques et sociaux – c’est leur but – à savoir des coûts de production moins élevés et des prix alimentaires plus faibles. Il est clair que le National Environmental Policy Act devrait être stoppé. En même temps, l’USDA devrait produire une étude d’impact capable de montrer aux juges que les nouvelles plantes OGM en général n’affectent pas significativement l’environnement humain et que par conséquent une étude au cas par cas n’est pas nécessaire.
En fin de compte, les OGM ne devaient pas faire l’objet de réglementations plus lourdes que celles qui pèsent sur les variétés traditionnelles. De tels changements feraient beaucoup pour diminuer l’importance des grands semenciers qui se trouvent favorisés paradoxalement par les militants anti-OGM.
Ronald Bailey est le correspondant scientifique du magazine Reason. Il est aussi l’auteur de Liberation Biology : The Scientific and Moral Case for the Biotech Revolution. Le livre est maintenant disponible sur Prometheus Books.