Les leçons du sauvetage du Tigre celte
Article publié dans Le Temps le 1er décembre 2010.
Lorsque la crise financière a débuté aux États-Unis en 2007, les commentateurs étaient presque unanimes: la crise était celle du capitalisme! Ces derniers jours, c’est le cas de l’Irlande, qui vient de recevoir un plan de sauvetage de 85 milliards d’euros de la part de l’Union européenne et du FMI, qui permet à nombre de commentateurs de réitérer la même rengaine. Cette fois encore, ils se trompent de cible.
Comme dans toute analyse d’un phénomène complexe où s’entrecroisent des tendances contradictoires, il faut distinguer ce qui va dans le sens du libre marché de ce qui va dans le sens de l’étatisme, ce qui a bien fonctionné de ce qui a mal fonctionné.
Il est indéniable que certains aspects du modèle irlandais ont très bien fonctionné jusqu’à récemment. L’Irlande jusqu’au milieu des années 1980 était l’un des pays les plus pauvres d’Europe. Deux décennies plus tard, il était devenu l’un des plus riches après une période de croissance spectaculaire.
Les politiques irlandaises ont misé, pendant toutes ces années, sur une croissance modérée des dépenses de l’État, l’ouverture aux marchés et aux investissements étrangers, notamment par un impôt comparativement très modeste sur les bénéfices des entreprises de 12,5%.
Sur la question cruciale de la taille de l’État, les dépenses publiques sont passées de 52% du PIB en 1986 à 38% en 1996, soit une baisse de 14 points. La croissance réelle du PIB, de 3,4% au cours des années 1977-86, a atteint 5,4% pendant la décennie qui a correspondu à l’amaigrissement de l’État.
Pourquoi donc une économie sur cette si belle lancée a-t-elle frappé un mur? Comme les économistes de l’école autrichienne l’ont démontré, c’est l’interventionnisme monétaire et financier qui crée les bulles spéculatives et les crises majeures.
L’Irlande a, comme bien d’autres régions du monde, connu un boom immobilier dans les années 2000, alimenté par les taux d’intérêt tenus artificiellement bas et la création monétaire excessive de la Banque centrale européenne. Les banques irlandaises ont utilisé au maximum l’effet de levier en empruntant des fonds à des institutions étrangères pour accorder des prêts hypothécaires à des acheteurs de maison insolvables.
Lorsque les banques ont commencé à avoir des problèmes en 2008, le gouvernement irlandais a pris la décision irresponsable de garantir des titres de créances qui dépassaient largement le PIB total du pays et s’est retrouvé avec toutes ces mauvaises dettes sur les bras lorsque les marchés se sont effondrés.
Le gouvernement américain a fait la même chose en allant à la rescousse des banques de Wall Street et d’organisations qui subventionnent les prêts hypothécaires comme Fannie Mae et Freddie Mac. Mais ces montants étaient beaucoup moins considérables en proportion de l’économie américaine.
Il y a un point crucial qu’il faut bien comprendre dans tout ceci: un système financier qui permet à des institutions, sous la protection de l’État, de faire de nombreux prêts risqués avec des fonds qu’elles ne possèdent pas vraiment n’a rien à voir avec le libre marché.
Dans un système véritablement capitaliste, une organisation étatique, la banque centrale, ne pourrait pas créer de capital à partir de rien, réduire artificiellement les taux d’intérêt et inonder les marchés de «liquidités», comme l’ont fait la Fed, la Banque centrale européenne et à peu près toutes les banques centrales du monde à divers degrés ces dernières années.
Les banques commerciales seraient obligées de garder des réserves beaucoup plus élevées et de ne prêter que des fonds qui leur ont été confiés pour investir, et non des dépôts à vue. Les gouvernements n’encourageraient pas les banques à prêter à des acheteurs qui n’ont pas les moyens de se payer une maison.
Dans un tel système, les bulles financières ne pourraient pas se développer, puisque la création monétaire serait minime. L’aléa moral induit par la protection de l’État (qui encourage tout le monde à prendre plus de risques) n’existerait pas non plus. Les acteurs financiers seraient obligés de subir eux-mêmes les conséquences de leurs décisions au lieu d’être renfloués par les contribuables.
L’interventionnisme monétaire est pire que toutes les autres formes d’interventionnisme économique. Il peut détruire l’économie de petits pays comme l’Irlande qui ont pourtant des politiques économiques avantageuses sur d’autres plans. Il est en train de détruire la principale économie de la planète, celle des États-Unis. Il pourrait même plonger le monde entier dans une dépression prolongée si tous les États se mettent à jouer le jeu dangereux des dévaluations concurrentielles, comme durant les années 1930.
Avec le plan de sauvetage de l’Irlande, on ne fait que repousser encore une fois le problème en ajoutant des dettes par-dessus d’autres dettes. Depuis le début de cette crise, on a sauvé de nombreuses banques soi-disant trop grosses pour qu’on les laisse s’effondrer, ce qui a fragilisé les finances nationales de plusieurs pays. On sauve maintenant de petits pays de la faillite, ce qui fragilise les finances nationales d’autres pays comme la France et l’Allemagne et le système financier de l’Union européenne dans son ensemble. Où cette spirale de la création monétaire et de l’endettement s’arrêtera-t-elle?
Martin Masse est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.