35 ans de décrépitude des finances publiques françaises
Article publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.
La ministre de l’Économie Christine Lagarde l’a promis, l’an prochain le déficit public ne dépassera pas les 6%. Une fois la crise passée, la croissance revenue, les finances publiques rentreront dans l’ordre. Des paroles rassurantes, maintes et maintes fois attendues.
Pourtant la donne change et les problèmes sont bien plus profonds. La dette publique, jadis considérée comme la plus sûre, n’a plus la côte lorsqu’elle émane de pays mal gérés. Dans un contexte de crise, avec un ralentissement de l’activité et une baisse des rentrées fiscales associées, les comportements de cigales sont pointés du doigt. Les investisseurs s’inquiètent des pratiques laxistes d’États ayant pris l’habitude de laisser leurs comptes publics déraper et de rembourser des dettes en en émettant d’autres. À ce titre, la situation de la France est alarmante. Avec un besoin de financement en 2010 de 450 milliards d’euros, plus élevé que les grands pays tels l’Allemagne, l’Italie ou la Grande Bretagne, la situation est loin d’être aussi réjouissante que les discours officiels cherchant à accréditer l’idée d’un pays ayant mieux résisté à la crise que ses voisins.
Au-delà de la crise et du déficit public associé, équivalent à 40% des recettes de l’État en 2010, le manque de contrôle à long terme des finances publiques inquiète. Depuis 1975, les finances publiques sont dans le rouge. L’État dépense en moyenne 20% de trop chaque année et les comptes n’ont jamais été équilibrés. Les déficits, censés ne jamais dépasser les 3% dans le cadre du traité de Maastricht ont dérapé bien avant la crise actuelle, en dépit d’efforts de présentation rappelant ceux de la Grèce. Cette incapacité structurelle à rééquilibrer les comptes est inédite en temps de paix. Une fois les guerres de 1870, 14-18, 39-45 passées, le budget est toujours rapidement revenu à l’équilibre et le stock de dette s’est dégonflé. C’est aussi inédit depuis l’Ancien Régime; on ne trouve aucune période avec 35 ans de déficits publics successifs depuis 1797.
Nous avons pris la regrettable habitude de trouver des justifications à nos errements, en présentant les déséquilibres budgétaires comme le moyen de favoriser la croissance, de faire rentrer des recettes fiscales et in fine d’éponger les dettes sans douleur. À court terme, c’est le mythe des «stabilisateurs économiques», justifiant un déséquilibre censé freiner le ralentissement de l’activité. À moyen terme, c’est celui du déficit «relançant» l’économie, en finançant des investissements d’avenir. Dans les faits on constate, année après année, l’inefficacité de ces démarches. S’il suffisait de dépenser plus pour se développer plus, on constaterait en France des taux de croissance supérieurs à la moyenne à nos voisins et un taux de chômage moindre. Chacun sait que ce n’est pas le cas… D’une part, la grande majorité des dérapages est liée aux dépenses courantes. Loin de financer les moteurs de la croissance de demain, ils permettent de continuer de vivre au delà de nos moyens, en repoussant les ajustements. D’autre part, l’expérience montre que les investissements publics n’ont jamais les effets durables recherchés. S’ils créent des effets d’aubaines, biens réels pour les secteurs qui en profitent, ils n’ont jamais crée d’effet d’entraînement global.
La situation est d’autant plus inquiétante qu’outre l’État, les administrations locales et la sécurité sociale sont elles aussi incapables d’équilibrer leurs comptes. C’est notamment le cas de l’assurance maladie et de l’assurance vieillesse. Ces deux branches se sont écartées du principe selon lequel les prestations devraient être financées par les cotisations sociales sur les actifs. De plus en plus de prestations sociales sont financées par des cotisations indépendantes du travail, ou par des émissions de dettes, gagées par des rentrées fiscales à venir. C’est toute l’histoire de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, crée en 1995 pour éteindre la dette sociale d’ici à 2009. Cette date, maintes et maintes fois reportée, vient d’être repoussée à 2025.
Les pouvoirs publics, quasiment désendettés en 1975, ont constitué en temps de paix un stock de dette officielle représentant 83% du PIB. À cette dette explicite s’ajoute celle, implicite de l’assurance vieillesse, fonctionnant quasi exclusivement en répartition dans un contexte de vieillissement. Selon les travaux du Conseil d’orientation des retraites, connu pour ses chiffrages rassurants, cette dette implicite représenterait entre 72 et 118% du PIB. Au global, chaque français serait endetté à hauteur de 50 000 €. Si l’on s’en tient aux seuls actifs ayant un emploi, c’est-à-dire au nombre de personnes susceptibles de payer l’intégralité de la panoplie de charges sociales et d’impôts, cela représente plus de 130 000 € par personne.
L’ampleur de cette dérive explique pourquoi les pouvoirs publics jouent la montre depuis des décennies. Pas évident d’avouer que le budget dérape structurellement, qu’il faut d’urgence rompre avec la fâcheuse habitude de dépenser plus que ne le permettent les rentrées fiscales et sociales. Pourtant, à l’heure où les marchés commencent à refuser de financer les dettes d’états laxistes, il est urgent de rompre avec ces décennies d’errements. Au lieu de fustiger les agences de notations et le fonctionnement des marchés, nos argentiers publics devraient faire le maximum pour équilibrer leurs comptes en réduisant les dépenses.
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.