L’énergie nucléaire pourrait-elle être différente?
Traduction d’un article publié dans le Wall Street Journal le 19 mars 2011.
L’accident nucléaire de Fukushima va-t-il donner à l’industrie nucléaire la chance de prendre une nouvelle voie? Au cours des dernières années, des experts se sont fait entendre au sujet de l’obsolescence de cette technologie fondée sur des réacteurs à uranium. Selon eux, elle devrait disparaître au profit d’une énergie nucléaire tout à fait différente, plus sûre et moins chère.
Le problème – comme c’est souvent le cas dans des secteurs très capitalistiques -, c’est l’inertie. Presque toutes les expertises, les recherches et les coûts fixes sont liés à la vieille technologie. Fukushima pourra peut-être changer la donne.
À court terme, le grand gagnant de la catastrophe nucléaire sera l’énergie fossile. Les énergies renouvelables restent trop chères, trop consommatrices de terres, trop erratiques et de trop faible échelle pour pouvoir prendre de l’envergure. Un charbon bon marché et du gaz naturel en abondance seront les mieux à même de répondre aux besoins en énergie.
Cela semble un peu ironique car le nombre de victimes à Fukushima n’atteindra probablement pas celui causé par l’industrie fossile. Au cours de l’année dernière, 29 personnes sont mortes dans une mine de charbon en Nouvelle-Zélande, 11 sur une installation de forage dans le Golfe et 27 lors de l’explosion d’un pipeline au Mexique. Une organisation humanitaire a aussi évalué à 20 000 le nombre de personnes qui mourraient chaque année dans des mines de charbon chinoises.
Maintenant que le gaz de schiste se révèle abondant en Amérique et qu’il l’est aussi dans le reste du monde, le prix de l’électricité restera probablement assez bas. Dans la mesure où la production d’énergie par le gaz est la forme d’électricité la plus efficace, la plus flexible, le plus propre et (à grande échelle) la moins riche en carbone, elle sera une option attrayante aussi bien économiquement que politiquement.
Face à ce titan qu’est le gaz de schiste, l’uranium aura du mal à garder le cap, compte tenu notamment des coûts supplémentaires qu’il devra supporter et du handicap politique que représente un accident comme celui de Fukushima. Le nucléaire va devoir se réinventer. Parce que les réacteurs nucléaires ont été développés par des gouvernements pressés d’agir en temps de guerre, les meilleurs sentiers de développement technologiques furent souvent ignorés. Le système à eau pressurisée était une solution rapide et polluante et nous continuons néanmoins à l’utiliser de nos jours. Des idées concurrentes existent pourtant et parmi elles, le réacteur à sels fondus utilisant le thorium.
Le thorium a de nombreux avantages en tant que combustible nucléaire. Il y en a 4 fois plus que l’uranium. Il est plus facile à manipuler et à utiliser. Il « engendre » sa propre énergie en créant en continue de l’uranium 233 et peut produire environ 90 fois plus d’énergie à partir de la même quantité de combustible. Ses réactions ne produisent ni plutonium ni matériaux utiles dans la fabrication de bombes. Il génère aussi beaucoup moins de déchets. Sa demi-vie (temps mis par une substance pour perdre la moitié de son activité radioactive) est beaucoup plus courte de sorte que les déchets doivent être stockés pendant des siècles plutôt que pendant des millénaires.
Un réacteur utilisant le thorium a besoin de neutrons et les moyens de fournir ces particules subatomiques sont relativement sûres. Elles peuvent être introduites grâce à un accélérateur de particules qui peut être arrêté en cas de problème. Elles peuvent aussi être introduites via l’uranium 235 qui présente beaucoup moins de risque de réactions incontrôlables que ça n’est le cas dans les centrales actuelles. Autre avantage d’un tel système, c’est que le xénon qui dans les réacteurs standards reste dans les tubes de combustibles et empoisonne progressivement la réaction, s’échappe au contraire du combustible liquide.
Personne ne sait si les réacteurs utilisant le thorium peuvent être compétitifs par rapport au charbon ou au gaz. L’Inde se penche sur le thorium depuis plusieurs années mais cette technologie est aussi différente de l’énergie nucléaire telle qu’elle est produite aujourd’hui que le gaz est différent du charbon. Les ingénieurs qui entendent parler de combustible liquide pendant leurs études restent rares. Ceux qui y travaillent le sont encore plus.
Les nouvelles technologies ont toujours du mal à rivaliser avec des concurrents dont une grande partie des coûts de développement ont déjà été amortis. Les premiers chemins de fer ne pouvaient guère rivaliser en termes de coût et de fiabilité avec les canaux, sans parler du pouvoir des groupes d’intérêt.
Il est cependant temps de s’intéresser au potentiel du Thorium.