Le capitaliste est écologiste par nature
Texte d’opinion publié dans le magazine Causeur le 16 avril 2011.
Dans le livre III du Capital, Karl Marx décrit pourquoi le capitaliste est « un fanatique de l’économie des moyens de production » et comment il cherche par tous les moyens à perfectionner ses méthodes de travail de manière à ce qu’elles consomment le moins possible de ressources rares et organise de lui-même le recyclage des déchets afin d’éviter les gaspillages. C’est ainsi, selon Marx, que le capitaliste satisfait « son besoin d’économiser les éléments de production »[[Karl Marx, Le Capital, Livre III, chapitre V, section 1.]]. Économiser les ressources et recycler les déchets : je ne sais pas pour vous mais ça ressemble à de l’écologie pur sucre. Ce que Karl Marx himself nous explique c’est donc que la recherche du profit devrait pousser les industriels à se comporter de manière éco-responsable.
Évidemment, je ne devrai pas avoir trop de mal à illustrer l’idée selon laquelle les entreprises privées sont naturellement incitées à économiser les ressources – produire beaucoup avec peu ; c’est le b.a.-ba de la recherche de profits. Mais il est en revanche utile d’illustrer les conséquences que peut avoir cette obsession des économies. Prenez l’état des forêts par exemple : l’ennemi naturel (si j’ose dire) des forêts et de la biodiversité qu’elles abritent c’est bien évidemment l’agriculture. Eh bien imaginez-vous qu’en cinquante ans, les progrès technologiques motivés par la volonté d’économiser les terres agricoles – et donc de maximiser les profits – ont permis d’économiser cette ressource rare à hauteur de 68% : en 1960, pour produire 100 boisseaux de maïs, un agriculteur étasunien devait exploiter de 1.88 acres de terres agricoles contre 0.61 acres en 2010[[Données de l’« United States Department of Agriculture » (USDA).]]. Le résultat de ce « fanatisme de l’économie des moyens de production », c’est que les forêts étasuniennes ont progressé de 769 millions d’hectares rien qu’au cours des vingt dernières années (+0.3%) et que les forêts françaises sont aujourd’hui plus étendues qu’au début de la révolution industrielle (15.9 millions d’hectares contre 11 millions en 1950 et 9 millions au XIXème siècle). Notez au passage que l’excellent état de notre parc forestier n’est pas étranger au fait que les trois-quarts de nos forêts sont privées. Bien sûr, la déforestation existe, mais elle a essentiellement lieu en Amérique du Sud : au Brésil (qui a perdu 1.1% de sa surface forestière depuis 1990) mais aussi au Venezuela (-1.2%), en Bolivie (-1%) ou en Argentine (-1.8%) tandis qu’étrangement, les deux pays notoirement capitalistes de la région (le Chili et l’Uruguay) sont aussi les deux seuls à voir leurs forêts progresser [[FAO, « Situations des forêts du monde 2011 ».]]. On a donc bien recherche de profit, économie des ressources et – in fine – des forêts qui ne s’en portent que mieux. Un point pour Marx.
La valorisation des déchets : une idée capitaliste qu’on a recyclée
Marx a également vu juste sur le recyclage. Par exemple, l’explosion de la production de cuivre à l’échelle mondiale a laissé sur les bras des industriels des quantités astronomiques d’un sous-produit de l’exploitation minière – le molybdène – qui n’avait jusqu’alors pas beaucoup d’autres applications que celle curiosité de laboratoire. Devinez ce qu’il advint du molybdène : on lui trouva rapidement toute une série d’applications très pratiques – alliages avec l’acier, catalyseur… – de telle sorte qu’aujourd’hui les mines de cuivre arrondissent largement leurs fins de mois en revendant cet ex-déchet pour quelque chose de l’ordre de $37 le kilo. En se donnant la peine de détailler les processus des industriels, on découvre une multitude d’autres exemples analogues : les « cendres volantes », résidus de la combustion du charbon qui était autrefois rejeté dans l’atmosphère, ont depuis trouvé une application rentable dans la production de béton et les drêches de distillerie, elles, servent aujourd’hui à nourrir le bétail. Le recyclage a été inventé par des industriels à la recherche de débouchés pour leurs déchets bien avant que les premiers écologistes voient le jour. Ce qui nous fait donc un deuxième point pour Marx.
Rajoutez à cela les considérations écologiques des consommateurs qui, par le jeu de la concurrence entre marques, ont poussé les industriels à adapter non seulement leurs produits – les voitures américaines modernes consomment 60% de moins qu’en 1973 – mais aussi leurs processus de production et vous admettrez avec moi que l’ami Karl mérite un troisième point. En revanche, vous m’accorderez aussi que le procès instruit par les marxistes modernes et autres partisans de la décroissance planifiée qui n’ont de cesse d’expliquer que le capitalisme pille les ressources de la planète et déverse ses tombereaux de déchets industriels aux quatre coins du monde est pour le moins un peu hâtif.
D’autant plus qu’en matière de pailles et de poutres, les bougres s’y entendent : nos partisans de la planification écologique arriveraient presque à nous faire croire qu’une économie socialiste est par nature respectueuse de l’environnement et donc supérieure – de ce point de vue – à une économie de marché. On nous présente, par exemple, la catastrophe de Fukushima comme un produit typique du « capitalisme mondialisé » en oubliant non seulement que celle de Tchernobyl n’a pas exactement eu lieu dans une économie ultralibérale mais surtout que si la première est la conséquence d’un séisme d’une ampleur exceptionnelle, la seconde était le bien le fruit d’erreurs humaines, de défauts de conceptions et surtout d’une cascade de mauvais choix bureaucratiques pas tout à fait sans rapports avec le régime politique local.
On pourrait aussi aligner les exemples des succès écologiques des économies planifiées – c’est sans doute la recherche de toujours plus de profits qui a présidé à l’assèchement de la mer d’Aral – mais les chiffres de l’économiste Mikhail Bernstam cités par Cécile Philippe [[Cécile Philippe, docteur en économie, directrice de l’Institut économique Molinari et auteur de « C’est trop tard pour la terre » (éd. Jean-Claude Lattès) à qui cet article doit plus que beaucoup.]] devraient permettre de remettre quelques pendules à l’heure : «Il observe qu’en 1987 l’émission de polluants industriels et domestiques dans l’air était cinq fois plus élevée en URSS qu’aux États-Unis, malgré un PIB deux fois plus faible. Parallèlement, l’emploi des ressources polluantes s’intensifiait à l’Est et se réduisait à l’Ouest. Par exemple, de 1980 à 1986, l’auteur souligne que l’énergie nécessaire pour générer 1$ de PIB diminuait de 14% aux États-Unis et en France alors qu’elle augmentait de 14% en URSS, de 21% en Bulgarie et de 67% en ex-RDA. En 1986, les économies socialistes étaient, à production égale, deux à trois fois plus polluantes que les économies de marché. »
Évidemment, de là à dire que nous vivons dans un monde parfaitement respectueux de l’environnement, il y a un pas de géant que seul un imbécile franchirait. Mais les solutions – les vraies, les bonnes et les durables – sont à chercher dans le cadre d’une économie de marché et pas dans les délires totalitaires des nostalgiques staliniens et autres décroissants.
Georges Kaplan est un auteur libéral.