Taxis, victimes de leurs privilèges
Texte d’opinion publié dans Le Cercle Les Échos le 29 avril 2011.
Les taxis du sud-est de la France sont en colère. Une société installée à Avignon, et d’ici la fin du mois à Nîmes leur ferait de la « concurrence déloyale » et remettrait en cause l’équilibre financier de leur activité.
Baptisée Easy Take, cette PME permet de réserver une voiture avec chauffeur, pour une course tarifée au kilomètre. Le concept est d’autant plus séduisant que le prix, connu à l’avance, est sensiblement moins élevé que celui des taxis et n’est pas susceptible d’augmenter en cas de bouchons. Les taxis, assujettis aux charges sociales et à divers coûts inhérents à leur profession, comme la mise à jour de leur signalétique, se sentent agressés.
Ils ont monté des opérations escargot et menacé de bloquer des grandes villes du sud-est si Easy Take continuait de se développer. Ils ont aussi saisi les tribunaux, sans obtenir de victoire décisive. Un jugement de la cour d’appel de Nîmes du 19 avril interdit à Easy Take de faire stationner ses voitures sur la voie publique et d’y rechercher des clients, mais confirme que l’activité du transporteur est légale dès lors qu’il intervient suite à une réservation.
Un énième remake de la sempiternelle lutte des professions réglementées se joue. Après les taxis contre les voitures de place, les taxis contre les motos ayant l’impudence de revendiquer elles aussi le qualificatif de taxi, nous assistons aux taxis contre les Renault Kangoo low cost d’Easy Take.
Les chauffeurs de taxis – qui ont encore en mémoire le rapport Attali de 2008 – ont sans doute raison de s’inquiéter. Les pouvoirs publics, qui hésitent depuis des années à augmenter le nombre de licences, pourraient bien remettre en cause leur équilibre économique en favorisant le développement de méthodes de transport alternatives.
Qu’en penser ? Tout d’abord la situation des taxis est difficile. Ils ont acheté le droit d’exercer leur métier des dizaines voire des centaines de milliers d’euros. Beaucoup d’entre eux l’ont fait pour obtenir une protection, en investissant sciemment dans une profession à accès règlementé, limitant la concurrence, ce qui permet en théorie de garantir la rentabilité de leur activité.
Dans les faits, ils ont souvent payé cette protection très cher, en s’endettant parfois sur des dizaines d’années. Ils ont fait leur calcul au vu des rendements réalisés par leurs ainés et sans nécessairement prendre en compte les risques liés aux évolutions réglementaires.
Malgré un cadre protecteur, les taxis subissent la sanction du consommateur
Or ils sont exposés, comme beaucoup de métiers réglementés, dont la rentabilité économique dépend directement de cadres règlementaires ou fiscaux changeants. Les taxis ont donc raison de s’inquiéter à l’image des professions médicales, dont l’activité est de plus en plus encadrée, ou des professions dépendant de près ou de loin de la fiscalité, des vendeurs d’épargne aux installateurs de panneaux solaires. Tous ont construit leur activité sur des avantages que les pouvoirs publics peuvent remettre en cause du jour au lendemain.
Le deuxième enseignement est qu’on ne bloque jamais définitivement la concurrence. Les taxis ont beau avoir acheté un cadre excessivement protecteur, ils n’en subissent pas moins la sanction du consommateur.
D’une part, ces derniers auront tendance à limiter leur consommation de taxi s’ils jugent que la prestation ne répond pas à leurs attentes ou est trop chère. C’est une des raisons pour laquelle les taxis roulent peu. Une grande partie du temps de travail est, en effet, passée à attendre les clients.
D’autre part, ils subissent la concurrence bien réelle d’autres modes de transports : bus, car, métro ou tramway.
Enfin, ils sont nécessairement mal protégés contre des nouveaux entrants tels Easy Take, qui profitant d’un cadre réglementaire plus souple, proposent des offres plus ingénieuses.
Le troisième enseignement est que la protection peut se retourner contre les protégés. Les taxis n’ont pas la liberté de leurs tarifs. Ceux ci sont fixés par les pouvoirs publics, qui décident de leur montant et du coefficient de révision annuelle. Ils n’ont pas le droit d’y déroger sous peine de se faire rappeler à l’ordre par la répression des fraudes.
Soulignons le caractère ubuesque de la situation : les pouvoirs publics organisent une entente tarifaire légale et font la chasse aux « fraudeurs », toutes choses interdites par ailleurs par le droit de la concurrence usuel.
Certes, l’État rend service aux chauffeurs de taxis qui ne souhaitent pas ou n’ont pas besoin de différencier leurs tarifs, mais il empêche aussi ceux qui le voudraient d’innover, en modulant leurs tarifs à la baisse ou à la hausse ou en proposant des prestations nouvelles à base de forfaits. Les protégés se trouvent prisonniers, incapables de répondre aux attentes des consommateurs et de se défendre face à la concurrence.
L’État est le premier responsable de cet état de fait regrettable. Encourageant les corporatismes au lieu de laisser faire la liberté, il a réglementé des professions en rigidifiant leur cadre règlementaire et en les opposant. Il est grand temps que la réglementation des taxis, conçue à une époque révolue change, pour le bien être de tous.
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.