La Belgique sans gouvernement fédéral : vers un mieux ?
Texte d’opinion publié le 31 mai 2011 sur LeMonde.fr.
Les questions des journalistes sont souvent stimulantes. L’un d’eux s’étonnait de ce que des gens comme moi – ardente défenseur du moins d’États – ne se soient pas davantage intéressés à ce cas apparemment proche d’un État minimal et d’en tirer ainsi les conséquences positives que nous pouvons en attendre. La Belgique a certes battu le record du monde sans gouvernement fédéral, mais elle n’en est pas moins pour autant gouvernée… par 6 autres gouvernements en parfait état de marche. Il n’est pas simple de sentir dans quel sens va le vent en matière de réglementation et de taxation, les deux critères qui permettent de mesurer le degré de liberté dont bénéficient les individus.
Une chose est sûre, la Belgique reste gouvernée et il y a trois bonnes raisons à cela. La première, c’est que même si le gouvernement fédéral actuel est démissionnaire, il gère néanmoins les affaires courantes. Son pouvoir a d’ailleurs été étendu du fait de la crise financière et il a pu – en dépit de son statut précaire – voter un budget.
Ensuite, l’absence d’hommes politiques élus ou nommés au sein d’un gouvernement n’empêche pas les fonctionnaires de faire leur travail. La crise politique actuelle pourrait même indiquer que le pouvoir des fonctionnaires ne doit pas être sous-estimé. C’est notamment ce que pense Martin Masse, conseiller politique entre 2006 et 2007 du ministre de l’Industrie canadienne Maxime Bernier. Il écrit : « les fonctionnaires peuvent très bien gérer tout l’appareil de l’État, y compris les petits changements nécessaires à l’évolution et l’ajustement des programmes, sans aucune influence des politiciens. Il y a un processus interne de prise de décision qui peut tirer ses propres conclusions, sans que le ministre lui apporte de sanction ultime. »
Enfin, la Belgique est un État fédéral. Elle dispose de 6 gouvernements : un gouvernement fédéral, un gouvernement flamand, un gouvernement de la communauté française, un autre pour la communauté germanophone, un gouvernement wallon et pour finir un gouvernement de la région Bruxelles-Capitale. Même si le gouvernement fédéral fonctionne à vitesse réduite, les autres sont en parfait état de marche. Les questions concernant l’économie, l’emploi, l’agriculture, l’environnement, la culture, l’enseignement et les questions linguistiques sont donc toujours traitées.
Ce constat rend nécessaire de relativiser l’ampleur de cette crise politique. Il est cependant intéressant de se demander si elle ne présente pas des avantages certains en matière de politique publique et s’il sera possible d’en sortir par la haut.
La première chose est qu’en la présence d’un gouvernement fédéral limité, un certain nombre de décisions ne peuvent pas être prises. Il n’est par exemple pas possible de créer de nouveaux impôts fédéraux ni de mener une politique de l’emploi générale.
On peut dès lors se demander si le rétablissement du marché de l’emploi belge n’est pas connecté à un environnement économique plus prévisible et moins interventionniste. Ainsi, selon l’enquête sur les forces de travail du SPF Économie, l’économie belge a créé 68 000 emplois en 2010, faisant progresser le nombre de personnes occupées de 1,5 % par rapport à 2009. Elle estime que « le marché belge de l’emploi se rétablit à une vitesse étonnante de la récente crise financière et économique ».
Le statu quo peut certes limiter la prise de mauvaises décisions mais elle empêche aussi que de bonnes réformes soient menées. Or, la situation de la sécurité sociale belge implique d’en réformer le fonctionnement et c’est d’ailleurs sur ce point qu’achoppent les négociations entre le parti socialiste majoritaire au niveau francophone et les autres partis, notamment le parti nationaliste flamand NVA de Bart De Wever. Ce dernier refuse l’architecture redistributive actuelle de la Belgique qui conduit la Flandre à subventionner la Wallonie.
Les tractations actuelles, comme en témoigne Corentin de Salle, docteur en philosophie, ne mèneront probablement pas à une régionalisation de la sécurité sociale et à la mise en concurrence de multiples caisses d’assurance. Il semble au contraire qu’on arrive « à une série de mesures très complexes, à un véritable mécano institutionnel ».
Une chose semble cependant a priori certaine, le NVA refusera le statu quo et tant que le PS n’acceptera pas une solution qui mette un tant soit peu les francophones devant leurs responsabilités budgétaires, le gouvernement ne se formera pas.
En ce sens et dans la mesure où le statu quo actuel semble offrir des avantages en matière de respect des droits de propriété individuels, la crise politique actuelle en Belgique pourrait in fine permettre quelques changements institutionnels favorables à la prospérité de l’ensemble des Belges.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.