Le secret bancaire helvéto-décentré
Éditorial publié sur Agefi le 22 septembre 2011.
Le Conseil des États n’accepte pas d’être mis devant le fait accompli: le report des ajustements proposés à la convention de double imposition avec les États-Unis, ainsi que l’adoption d’une motion visant à ce que la Suisse puisse «lutter à armes égales» dans le domaine de la confidentialité bancaire suggèrent un certain aplomb face au trend dominant d’accorder des concessions d’abord, et de discuter ensuite. En abandonnant, sous la menace du G20, le principe de la double incrimination, la Suisse officielle est déjà allée très loin.
Les autorités américaines, bien sûr, restent en position de force: il serait déraisonnable d’attendre un geste héroïque du Conseil fédéral au nom du respect de la sphère privée. Mais il n’est jamais inutile de rappeler que le secret bancaire est destiné à protéger le citoyen contre les excès de son gouvernement également. Selon l’indice de Freedom House, 54% de la population mondiale vivent encore sous le joug de régimes répressifs. Et les politiques publiques de ces dernières années n’ont pas de quoi rassurer les vieilles démocraties non plus. La question d’avoir quelque chose à cacher ou non est hors de propos: la sphère privée n’est pas un alibi, mais le moyen tout à fait honorable et indispensable de délimiter son individualité par rapport à l’espace public. Cela vaut pour sa fortune ou ses revenus légitimement acquis.
C’est pourquoi le nombrilisme helvétique a été trop prompt à voir dans la croisade fiscale actuelle une guerre commerciale. Si guerre il y a, elle se mène contre les ressortissants des pays respectifs. Les États-Unis sont l’une des rares juridictions à assujettir leurs citoyens où qu’ils résident. Or, sur les quelque sept millions d’expatriés à l’étranger, seuls 6% déclarent leurs revenus au fisc de leur pays. On comprend donc que la campagne qui doit culminer en 2013 avec le monstre bureaucratique du Foreign Account Tax Compliance Act n’est pas dirigée contre les banques, mais les citoyens et doubles nationaux eux-mêmes. En témoignent les quelque 2000 personnes en attente de renoncer à leur citoyenneté américaine en Suisse uniquement. Face à ce qu’il faut bien appeler l’esclavage fiscal, le secret bancaire prend des allures d’institution humanitaire. C’est à ce titre qu’il aurait dû être défendu.