Le choix compliqué du moratoire, partie I
Texte d’opinion publié le 28 novembre 2011 sur 24hGold.
Ceux qui en ont assez de la crise de la dette européenne n’ont plus de scrupules à soutenir un moratoire au moins partiel de la dette publique. La proposition repose sur l’idée qu’une simple renégociation de la dette (un report des paiements à court terme ou un swap de dette à court terme par de la dette à long terme) ne fera qu’ajourner l’inévitable défaut de paiement.
En effet, certains États européens comme l’Italie, la Grèce et même la France ont largement dépassé le point de non retour pour un paiement intégral de leur dette. La France, en particulier, a un fardeau fiscal tellement lourd que toute augmentation fiscale significative ne ferait que dégrader encore plus sa compétitivité, plongeant le pays dans un marasme économique sans fin. L’idée est donc de ne pas payer une dette impayable tout de suite plutôt que de la renégocier.
Voilà qui n’est pas complètement dépourvu de sens. En effet, en France, où la moitié de la population vit avec moins de 19000 euros/an (Insee 2011) et où le fardeau fiscal de l’employé lambda est de 56,36%, le recours à des hausses d’impôts pour rembourser la dette est nécessairement limité. L’option « à la mode » de vouloir faire payer les riches néglige le fait que dans l’hypothèse peu plausible où les riches continueraient à résider en France, il y aurait cependant moins de capital disponible pour embaucher des travailleurs et réactiver l’économie. L’appauvrissement du pays serait donc inévitable si, pour payer la dette, l’idée était retenue.
Autre argument qui fait mouche chez les partisans du moratoire repose sur la croyance que le secteur bancaire (plus grand détenteur de dette publique) serait à même de l’absorber. La dette publique française, par exemple, est largement composée d’intérêts accumulés. En effet, au cours des trente dernières années, le solde primaire de l’État français a souvent été positif. Les soldes budgétaires deviennent négatifs quand on y inclut les intérêts de la dette. Mais l’argument soutient que si le principal de la dette a déjà été payé au cours de ces dernières années, alors le secteur bancaire pourrait bel et bien se passer des intérêts. Il ne faut cependant pas oublier que ces soldes primaires positifs ne sont obtenues en France que parce que le poids des impôts et autres prélèvements y est particulièrement handicapant pour la compétitivité de l’hexagone.
Cette première ligne d’argumentation est impeccable. La deuxième l’est un peu moins car les partisans du moratoire oublient certaines de ses caractéristiques.
S’il est vrai que la dette publique est largement composée des intérêts accumulés, le fait est que l’État s’endette pour payer ces intérêts. Autrement dit, les banques commerciales investissent de nouveaux capitaux pour financer l’État. Les partisans du moratoire rétorquent que les banques commerciales ne prêtent pas du vrai capital, mais plutôt de la monnaie créée à partir de rien. C’est tout à fait vrai et c’est précisément ce qui pose un problème pour d’autres agents. En créant cette monnaie, les banques se créent des obligations de paiement auprès du public. Si la banque n’est pas remboursée, elle sera alors incapable de remplir ses obligations, et les détenteurs de comptes courants, qui n’ont rien prêté à l’État, verront leurs fonds disparaître.
Autre élément souvent négligé par les partisans du moratoire : le fait que les créanciers non-bancaires de l’État, comme le grand public épargnant, achètent des obligations d’État par le biais de fonds de placement gérés par les banques. Un moratoire affecterait directement ces fonds de placement en remettant à plus tard le paiement des intérêts dus. Nous pouvons donc conclure que tant les détenteurs de comptes courants que les détenteurs de comptes de placement sont pris en otage par l’État et par les banques commerciales dans le schéma actuel de la dette publique et qu’un moratoire sur la dette publique aurait des conséquences particulièrement douloureuses pour la population.
À suivre : autres effets d’un moratoire…
Gabriel A. Giménez-Roche est professeur et responsable du département économie du Groupe ESC Troyes et maître de conférences à Sciences Po Paris. Son domaine de recherche est l’analyse économique de l’entrepreneuriat et son contexte socio-institutionnel. Il est également chercheur associé de l’Institut économique Molinari.