Canada : la rigueur à la hache ? Sans doute pas assez
Texte d’opinion publié en exclusivité sur ce site.
Martin Masse, ancien conseiller du ministre Maxime Bernier (interviewé dans un reportage de France 2) et chercheur associé à l’IEM, commente la vidéo proposée dans notre newsletter.
Je suis d’accord avec une bonne partie du reportage, en particulier l’ampleur des compressions, leur mise en oeuvre, le rôle qu’ont joué les médias, etc. Il y a toutefois une portion importante de l’émission qui donne une perspective faussée. Quand le journaliste indique les effets négatifs des compressions fédérales, il parle des mises à pied du personnel dans les hôpitaux et du manque d’entretien des infrastructures, faisant mention en particulier des routes au Québec. Le professeur interviewé parle à ce sujet de «pelletage» dans la cour des provinces. Il faut savoir que cette interprétation est celle que répètent les opposants aux compressions fédérales, en particulier dans les provinces.
Le gouvernement fédéral a en effet réduit les transferts fédéraux aux provinces, mais il faut savoir que l’argent transféré aux provinces n’est pas dédié à des dépenses spécifiques, en dépit du nom du programme de transfert le plus important intitulé «transfert au titre de la santé». Ces transferts s’ajoutent tout simplement aux revenus globaux des gouvernements
provinciaux. Ceux-ci peuvent choisir d’allouer les ressources comme ils le souhaitent. Ils auraient ainsi pu consacrer plus d’argent (de leurs revenus propres) à la santé et couper les dépenses d’autres programmes.
Au Québec notamment, le gouvernement a fait le choix à la fin des années 1990 (en même temps que les transferts fédéraux étaient réduits) de faire des compressions importantes dans le secteur de la santé et de mener en parallèle une certaine réorganisation, de nature surtout bureaucratique, qui n’a pas donné les résultats escomptés. Ces résultats ne sont donc pas un effet direct de la réduction des transferts fédéraux mais bel et bien la conséquence d’une décision du gouvernement provincial. Ce dernier a préféré baisser les dépenses de santé et faire cette réforme plutôt que de dépenser toujours davantage dans ce secteur. Compte tenu de l’augmentation très rapide des coûts du système de santé, la situation devenait de toute façon insoutenable même sans réduction des transferts fédéraux. On peut donc tout au plus affirmer que la réduction des transferts a donné plus d’urgence à une telle réforme.
Le cas des infrastructures est encore plus évident. Elles ont été négligées au Québec depuis des décennies parce qu’il était sans doute plus rentable électoralement d’«investir» dans de nouveaux programmes sociaux populaires et diverses mesures interventionnistes de développement économique.
La détérioration des infrastructures est lente et met des années à se faire sentir. Ce n’est que lorsque les viaducs, il y a quelques années, ont commencé à s’effondrer et à provoquer des morts, que l’entretien des infrastructures est redevenu une priorité et que le gouvernement provincial
a décidé de se lancer dans de grands travaux de réfection. Les compressions
fédérales ne sont aucunement responsables de ces négligences qui relèvent des choix des gouvernements provinciaux.
Les réformes canadiennes du milieu des années 1990 ont eu des effets largement positifs. Elles ont permis d’engranger des excédents budgétaires pendant plus d’une décennie, une situation unique parmi les pays du G8. Elles ont également permis de réduire les impôts et de susciter une croissance plus forte. Tout ce qu’on peut déplorer, c’est qu’elles n’aient pas été plus ambitieuses.