Ces peurs mauvaises conseillères
Texte d’opinion publié le 10 octobre 2012 dans Le Figaro.
Des rats déformés par des tumeurs, du sang d’orang outan sur les mains ou des bébés le biberon dans la bouche, autant d’images qui doivent nous faire renoncer ici et maintenant aux OGM, à l’huile de palme ou au Bisphénol A. Alors qu’une proposition de loi est en examen au Sénat pour en suspendre la fabrication, l’importation et l’exportation dans les plastiques et contenants alimentaires, il est temps de réaliser que le risque du principe de précaution est en train de se réaliser. Son application devient déraisonnable et plutôt que de surmonter notre peur, on nous invite à y succomber.
La peur est saine et permet d’adopter des comportements prudents et responsables. Les peurs alimentaires sont ainsi le pendant d’un souci bien français de manger sainement et équilibré. N’est-il pas raisonnable de s’intéresser à ce qu’on a dans son assiette et de s’informer sur la fabrication des produits qu’on mange ? Le problème dans notre société n’est pas que les gens aient des peurs mais plutôt que tout est fait pour les alimenter et qu’elles deviennent dès lors la boussole des politiques publiques.
Or, la peur peut-être mauvaise conseillère et si on refuse de la vaincre, on devient vite l’objet des manipulations des uns et des autres, aussi bien intentionnés soient-ils. Ainsi, en France où la culture des Organismes génétiquement modifiés (OGM) reste interdite, il a suffi d’une étude portant spécifiquement sur le maïs NK603 de Monsanto pour que les ministres de la santé (Marisol Touraine), de l’environnement (Delphine Batho) et de l’agriculture (Stéphane le Fol) demandent un contrôle plus strict des OGM dans leur ensemble.
De même, les campagnes sensationnalistes de Greenpeace ou des Amis de la Terre sur l’huile de palme ont jeté l’opprobre sur une huile qu’il y a encore quelques années, on ne trouvait que dans les magasins bio.
Quant au bisphénol A, la peur d’un nouveau scandale pousse sans doute les instances politiques françaises à accélérer l’adoption d’une loi en interdisant l’usage alors que le processus de réévaluation des études commence à peine.
Sous la pression de peurs poussées à leur paroxysme, le processus politique s’emballe et multiplie les interdictions qui n’offrent qu’une solution simpliste à des problèmes complexes, pas prêts de disparaître.
Les OGM, par exemple, ont des applications dans des domaines aussi divers que la médecine, l’alimentation, l’industrie. L’insuline génétiquement modifiée sauve et améliore la vie de milliers de diabétiques. Amflora (pomme de terre GM) permet de faire des colles et des bétons de meilleure qualité tout en économisant les ressources nécessaires à la cultiver. Les gains de productivité réalisés par la culture de variétés GM offrent des solutions à la faim dans le monde et permettent d’économiser des terres arables.
Que dire de l’huile de palme? On lui reproche d’entraîner la déforestation et la biodiversité qui l’accompagne mais on oublie aussi que les rendements du palmier à huile sont plus élevés que ceux du colza ou du soja. Il produit ainsi en moyenne 3,72 tonnes/hectare d’huile, à rapporter aux 0,40 tonnes du soja et 0,72 tonnes de colza. On obtient donc près de 10 fois plus de matière grasse par hectare d’un palmier à huile que du soja, et plus de 5 fois plus que du colza. C’est une autre façon de comprendre qu’en le cultivant, on économise des terres arables.
Et le bisphénol A ? N’est-il pas devenu évident qu’il faut l’interdire ? Oui, si on se laisse aller à la peur de ses possibles effets nocifs pour la santé. Pas sûr si on prend en compte l’ensemble du problème posé, à savoir qu’il faut un produit chimique pour assurer la conservation de nos aliments sans quoi on se retrouve face au risque d’être contaminé par toutes sortes de bactéries ou de devoir accepter des substituts au sujet desquels on n’a, pour le coup, pas de recul.
Ainsi, de la même façon qu’il est déraisonnable de penser que ces produits sont sans danger, il est tout aussi dangereux de croire qu’ils sont nocifs quand les preuves manquent pour le faire et qu’on oublie les bienfaits de leur utilisation. Si on continue dans cette direction, on se retrouvera forcément démunis face aux problèmes complexes que sont l’alimentation, la santé et l’environnement en général.
Nos modes de vie dépendent d’innovations que plus personne n’aura intérêt à développer si plutôt que de tenir les producteurs responsables des innovations qu’ils inventent, on leur interdit simplement de les exploiter et in fine de les développer.
Alors plutôt que de continuer à répondre aux sirènes des alarmistes, il est grand temps de soigner nos peurs par une autre médecine que celle du principe de précaution et refuser cette solution simpliste brandie par le gouvernement actuel.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.