Pourquoi la ruée bancaire tarde-t-elle à venir?
Texte d’opinion publié le 2 avril 2013 sur 24hGold.
Le comportement des déposants modernes peut paraître surprenant à certains égards. À la mi-mars, cela faisait presque deux mois que la presse Chypriote discutait, dans le menu détail, d’une éventuelle coupe des dépôts bancaires. Quelques milliards d’euros sont bien partis ailleurs, mais cela représente bien pu par rapport aux 67 milliards d’euros dans tout le système Chypriote. En outre, les sorties de dépôts ont été minimes en ce qui concerne les résidents eux-mêmes, qui n’ont finalement pris aucune précaution contre une proposition de politique devenue réalité.
La dernière des décisions annoncées, après une suggestion de taxer tous les dépôts, y compris la partie garantie, consiste à transformer les dépôts non-garantis à la Banque Populaire de Chypre en simples créances sur les mauvais actifs de l’institution et à diminuer les dépôts non-garantis à la Banque de Chypre d’environ 40%. La décision a été présentée par le chef de l’Euro-groupe, dans un rare excès de sincérité, comme un modèle à suivre en cas de futurs problèmes bancaires ailleurs dans la zone euro. L’hostilité de l’opinion à l’égard d’une telle position a incité les services de presse de la Commission européenne et de la Banque centrale Européenne à faire croire à la singularité du cas de Chypre.
Face à ces pertes colossales endossées par des déposants à Chypre, et eu égard à l’absence de position claire des instances Européennes, on peut se demander pourquoi les ruées bancaires en zone euro ne se sont pas multipliées ? Pourquoi les banques espagnoles et italiennes continuent-elles de bénéficier de la confiance de leurs clients? De même, pourquoi les Chypriotes ne se sont-ils pas rués vers leurs banques lorsqu’il fut évoqué de compenser les pertes du système sur les dépôts ?
Dans le cas de Chypre, des facteurs particuliers ont été évoqués. Il s’agirait d’une île, ce qui rendrait la sortie des capitaux plus coûteuse que d’habitude. Certains larges dépôts, suspectés d’être liés à des activités de blanchiment d’argent, n’auraient nulle part où aller. De telles explications, basées sur des singularités au cas par cas, doivent être écartées. Le phénomène, ou plutôt son absence, est tellement répandu qu’il est nécessaire d’en chercher une cause générale.
Cette cause générale se trouve dans les garanties publiques. Depuis le début de la crise, tous les États ont mené une politique visant à garantir non seulement les affaires des banques, mais aussi celles des industriels de tous bords. Les Européens ont été amenés à croire qu’ils n’auraient plus jamais à supporter des pertes au niveau individuel. En conséquence, les anticipations des déposants ont été modifiées à tel point que les suspicions de pertes liées à d’éventuelles faillites bancaires ont été entachées d’une totale incrédulité.
Les ruées bancaires ne sont plus déterminées par des considérations objectives quant à la santé financière des établissements de crédit. Elles sont principalement déterminées par la croyance, plus ou moins justifiée, en la volonté et la capacité des États de renflouer les banques. Les garanties publiques ont rendu inopérante toute ruée bancaire comme outil de responsabilisation, tant des banques que des déposants. Tant que la confiance des déposants dans la santé financière des États est maintenue, les banques ne sont pas menacées par des ruées.
Cependant, et comme le cas Chypriote nous le rappelle, il arrive un moment où les pertes ne peuvent plus être collectivisées, redistribuées ou repoussées. Entre-temps, l’absence de ruées bancaires ne fait qu’empiler les dettes collectivisées, tout en aggravant les vulnérabilités des banques. On comprend alors que le cas Chypriote, aujourd’hui isolé, n’est que l’aboutissement logique, et en quelque sorte prémonitoire, de ce qui devrait arriver au système financier dans son ensemble. Car sa survie ne dépend pas de ses propres fondamentaux, mais de la capacité des États modernes à le déclarer et à le maintenir solvable.
Siméon Brutskus a vécu sa jeunesse à l’Est, avant de parfaire son éducation économique en France. Sa carrière d’enseignant-chercheur l’a conduit à s’intéresser à la théorie et politique monétaires, et au rôle qu’occupent les banques centrales dans la déstabilisation des systèmes financiers.