Exclusivité – Les mensonges qui déçoivent et ceux qui coûtent
Texte d’opinion publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.
Cahuzac a menti. Il en subit d’ores et déjà les conséquences en termes de réputation et de carrière. Il risque d’en subir les conséquences juridiques. Il en restera une batterie de mesures en faveur de la transparence. Leur effet réel sera, comme d’habitude, incertain. Il existe déjà toute une myriade de mesures pro-transparence, contre le pantouflage et les conflits d’intérêt. En rajouter quelques-unes ne changera pas forcément la donne, surtout dans un monde habitué à pratiquer le grand écart entre les paroles et les actes.
Cette affaire ne devrait cependant pas rester l’arbre qui cache la forêt. Car au-delà des mensonges d’un « homme qui a failli », pour reprendre une expression du président de la République, se cachent une myriade de mensonges collectifs. Nombre de ces mensonges auront des effets sur notre bien-être et sur celui de nos enfants, nés ou à naître, bien plus durables que ceux d’un éphémère ministre du Budget. Ces mensonges sont liés à tous nos aménagements avec la réalité collective, qu’il s’agisse d’embellir la situation ou de refuser de l’appréhender.
Ils concernent notamment la planification budgétaire au sens large, qu’il s’agisse de concevoir le budget pour l’année à venir ou les années à venir. Ces processus sont au cœur de notre démocratie, or ils ont subi une dérive massive depuis 39 ans. Ils n’illustrent plus une planification responsable, mais relayent les souhaits de gouvernants peu enclins à dire la vérité. À force de vouloir penser que la reprise est pour l’an prochain, le déficit est devenu la règle depuis 1974 et un des fondements de la démocratie parlementaire est devenu un théâtre d’ombres. Le vote du budget s’apparente à un exercice de rêverie éveillée, ce qui ôte une grande partie de la valeur de ce processus démocratique clef.
Ce qui est vrai pour le budget l’est aussi pour toutes les projections à moyen terme établies par les pouvoirs publics dans le cadre des « loi de programmation des finances publiques ». Ces prévisions à moyen terme sont devenues, elles aussi, un exercice imposé. On est en droit de se demander si leur unique intérêt n’est pas de repousser à l’infini l’ajustement, en obtenant un quitus des autorités européennes.
Bien sûr, il faut attester périodiquement d’efforts en faveur de la sincérité, mais là encore plus personne n’est dupe. Une technique de base est de diluer la responsabilité en s’appuyant sur des tiers, des spécialistes censés être plus indépendants que les décideurs élus. Cette technique éprouvée marche fréquemment. Elle a donné lieu à un sans faute, ou sans vérité, en matière de retraites.
Une instance comme le Conseil d’orientation des retraites se livre, année après année, à des exercices de projection avec des hypothèses qu’aucun conseil indépendant n’oserait retenir. Le dernier jeu de simulation nous propose par exemple de nous projeter dans l’avenir avec des taux de chômage jamais atteints depuis 1978. D’aucuns pourraient penser que la prévision est un art difficile, mais il suffit de voyager chez nos voisins pour comprendre qu’il est possible de faire des prévisions sincères et que c’est même la norme.
Plus rarement le mécanisme de dilution de la vérité échoue. Ce fut récemment le cas s’agissant du Haut conseil des finances publiques (HCFP). Ce conseil indépendant tout juste installé vient de se prononcer sur les hypothèses employées dans le scénario macroéconomique associé au programme de stabilité présenté le 17 avril en conseil des ministres. Le HCFP a montré que, là encore, elles pèchent par optimisme. On aurait pu penser que le gouvernement, qui venait d’introniser ce nouveau conseil, aurait fait le choix de réviser sa copie. Que nenni, le ministre de l’Économie et des Finances propose benoitement de garder les hypothèses jugées irréalistes, afin de marquer sa confiance dans la politique gouvernementale.
Une fois de plus, on comprend que la sincérité budgétaire n’est pas une fin en soi. Mais comme le dit l’adage les promesses n’engagent que ceux qui les croient. N’est-t-il pas temps de grandir et de réaliser que des mensonges, même réitérés avec brio, ne font pas une réalité? Au-delà de la faute individuelle d’un ministre, sur laquelle il est légitime de s’indigner, il nous incombe de faire nos choix et de cautionner, ou non, un dérapage massif des finances public qui aura nécessairement des conséquences sur le bien être des générations futures.
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.