Exclusivité – Déposer de l’argent sur un compte, c’est prêter aux banques
Texte d’opinion publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.
Le fait de «taxer» les comptes bancaires constitue indiscutablement une nouvelle étape dans la crise actuelle. Pourtant la véritable leçon à tirer de la crise chypriote est ailleurs. Car ces événements sont la preuve que les «dépôts» — en dépit de l’usage courant du mot — sont en réalité des prêts aux banques.
Certes, le fait d’avoir voulu taxer l’ensemble des comptes bancaires fut une surprise. Il est facile d’imaginer l’inquiétude de la population chypriote qui croyait ses économies en sécurité. Si la taxe de 6,75% sur les comptes de moins de 100 000 euros fut finalement abandonnée (pour l’instant), la perte définitive pour les «dépôts non assurés» de plus de 100 000 euros pourrait aller jusqu’à 60%, voire plus, le montant exact restant encore à être précisé (contre 9,9% initialement). Ceci étant, cela ne devrait surprendre personne: si les gouvernements sont en mesure de taxer le gras (fat tax) ou les sodas, pourquoi pas les comptes bancaires?
A force de parler de «dépôts» et de «déposants» — et de leur mise à contribution juste ou injuste — il y a un aspect qui reste pourtant mal compris et que la crise chypriote illustre parfaitement. De quoi s’agit-il?
Selon un sondage britannique, près de quatre personnes sur cinq considèrent qu’ils demeurent les propriétaires légitimes de l’argent qu’ils déposent à leur banque. Une personne sur trois serait même opposée à ce que la banque en prête ne serait-ce qu’une partie.
Or, en réalité, à chaque fois que quelqu’un dépose de l’argent sur son compte courant ou son Livret A, il le prête en fait à sa banque. Elle en fait d’ailleurs ce qu’elle veut et octroie donc des crédits sur cette base.
La crise chypriote apporte en effet la preuve, si besoin était, qu’il n’y a guère de dépôts dans les banques, obligées de fermer quand les épargnants se mettent à les réclamer. Les «dépôts» sont en réalité utilisés pour acheter des dettes. Dans le cas de Chypre, ils ont servi à acheter de la dette grecque. Au lieu d’être en lieu sûr, ils ont ainsi été prêtés et «consommés» par l’Etat grec en faillite.
La situation est cependant similaire ailleurs dans nos systèmes bancaires, dits à réserves fractionnaires (i.e. une fraction seulement des dépôts est gardée en réserve). La majeure partie de l’argent déposé est soit prêtée à des tiers, soit utilisée par les banques pour spéculer pour leur compte propre.
Les économistes de l’école autrichienne n’ont eu d’ailleurs de cesse de pointer du doigt ce système de réserves fractionnaires comme la source principale des crises, ainsi que de la fragilité inhérente des banques. L’un d’entre eux, Jésus Huerta de Soto, souligne en particulier la confusion qu’il engendre aussi chez les épargnants, ces derniers pensant faire des dépôts et non pas des prêts à leur banque. Or, quelle différence y a-t-il entre les deux?
Un véritable dépôt — du latin depositum (i.e. consignation) — «est ce qu’on a donné à quelqu’un pour qu’il le garde», comme l’avait déjà très bien compris Ulpien, un juriste romain du IIIème siècle. Cette obligation de garde — dont la transgression fut jadis sanctionnée comme un vol — s’avère ainsi constamment violée de nos jours par les banques. Les contrats de prêts, en revanche, laissent justement le récipiendaire utiliser à sa guise le montant ou l’objet prêté. A l’évidence, les sommes que nous confions à notre banque n’ont de dépôt que le nom et doivent être considérées comme des prêts.
La différence?
C’est la même que celle qui consiste à déposer une voiture à laquelle on tient dans un garage privé local (équipé de portail, d’agents et de caméras de sécurité) ou, au contraire, à la prêter à quelqu’un qu’on ne connaît pas. Les deux situations n’offrent évidemment pas le même niveau de fiabilité.
La différence vaut-elle cependant pour les dépôts de moins de 100 000 euros, officiellement sous «garantie»? La réponse est oui car les fonds de garantie des dépôts sont insignifiants en comparaison des montants «assurés». En cas de crise grave, il ne sera tout simplement pas possible d’exercer cette garantie.
L’argent sur un compte bancaire n’est donc pas un dépôt à proprement parler, mais un prêt fait à la banque. Il va donc devenir de plus en plus important pour les déposants de s’intéresser de près à la réputation de leur banque et à la façon plus ou moins avisée qu’elles ont d’octroyer des crédits.
Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.