Du danger d’effacer les marques
Texte d’opinion publié le 17 mai 2013 dans Les Échos.
En cette période de crise économique durable et de scandales divers et variés, la réputation d’une entreprise est primordiale. Elle se construit au fil du temps, à coup d’investissements, d’innovations et de bons produits. Un défi mal géré et des années de travail peuvent s’envoler. C’est ce qu’exigent les consommateurs et cela fait partie de la vie de l’entreprise.
Dans ce contexte, la tendance des pouvoirs publics à vouloir restreindre le champ d’action des marques est préoccupante. Plusieurs nouvelles réglementations ont vu le jour au cours des dernières années pour des raisons sanitaires. Elles visent à imposer des images-chocs, voire des messages ou des emballages génériques aux entreprises. À première vue cela semble relever du bons sens. Pourtant ces contraintes réglementaires réduisent les moyens et les incitations des entreprises à gérer au mieux leurs marques, pour in fine mieux répondre aux exigences des consommateurs, y compris en matière de sécurité alimentaire.
Un exemple récent permet de mieux comprendre l’importance des marques. La fraude «à la viande de cheval» a fait couler beaucoup d’encre sans qu’on commente un fait important: la société Findus a révélé le problème.
Quelle pouvait donc être la motivation de cette entreprise à s’exposer de la sorte? Elle avait tout simplement énormément à perdre à ne pas le faire. En effet, elle risquait de se voir elle-même condamnée si elle n’avait pas révélé la fraude qu’elle avait découverte. Mais, pire encore, l’atteinte à sa réputation aurait pu être si grande que la marque de surgelés aurait pu définitivement disparaitre des rayons des supermarchés. La sanction du marché peut être impitoyable et les entreprises le savent bien.
En parallèle, les récompenses en termes parts de marché sont aussi une puissante incitation à faire mieux que les concurrents, à les devancer, à innover pour offrir des produits moins chers et/ou de meilleure qualité aux consommateurs. La gestion d’une marque par une société l’oblige à être responsable et à agir constamment en faveur des clients, afin que leur verdict reste positif.
Cette relation de confiance entre l’entreprise et le consommateur passe aussi par le fait de reconnaître ses erreurs, comme dans le cas de la viande de cheval. Cette conduite est un gage de confiance en la conformité et la stabilité (goût, texture, conservation) des produits et offre des possibilités de recours en cas de problème. La marque, loin d’être notre ennemi, est le gage que son propriétaire va chercher à satisfaire ses clients dans la durée. C’est pourquoi les entreprises investissent des milliards chaque année dans cet actif intangible que constitue leur réputation. La marque McDonald’s vaudrait ainsi 95,2 milliards de dollars et Coca-Cola 74,3 milliards, avec respectivement plus de 27 et 61 millions de fans sur Facebook. Leurs propriétaires ont tout intérêt à gérer de façon responsable ce capital.
C’est une savante construction que des institutions stables et prévisibles peuvent permettre d’atteindre. Et c’est précisément pour cette raison qu’il est important de donner aux entreprises le maximum de latitude pour gérer efficacement leurs marques et assumer les conséquences — positives ou négatives — de leurs choix.
Aussi, il nous semble nécessaire de pointer du doigt plusieurs dérives récentes, conduisant à contrario à réduire le champ d’action des marques en leur imposant des contraintes réglementaires. On a vu dans les dernières années des messages dissuasifs fleurir sur les publicités des produits jugés néfastes, trop gras ou trop sucrés. L’inventivité des régulateurs est sans limite. Une proposition canadienne vise par exemple à imposer ce traitement aux boîtes de pizza ou aux cannettes de soda. D’autres suggèrent de supprimer les marques, en imposant des emballages indifférenciés les rendant invisibles, comme dans le cas des paquets de cigarette.
D’un point de vue économique, cela nous semble une triple erreur. D’une part cela empêchera aux marques qui innovent pour le bien être des consommateurs de se différencier. Du coup, cela réduira les incitations qu’elles ont à se conformer à ce qu’ils exigent d’elle. Enfin, cela complexifiera la tache des consommateurs. Non seulement leur choix sera plus complexe mais leur pouvoir de sanction, via la discrimination entre les marques recueillant leur assentiment ou non, sera réduit.
Se démarquer des marques est une erreur à long terme. Ce n’est comme cela qu’on aidera les entreprises françaises à construire des marques irréprochables et favorisera le «Made in France».
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.