La fin du secret bancaire
Texte d’opinion publié le 23 avril 2014 sur 24hGold.
Récemment, sous la pression de l’Union européenne et de l’OCDE, qui affichent une volonté de transparence, l’Autriche et le Luxembourg ont accepté d’abandonner le secret bancaire en vigueur dans ces pays depuis des décennies. Tous les pays de l’Union européenne sont maintenant au diapason en la matière. Il existe quelques bonnes raisons à cette abolition — à commencer par l’idée que le secret bancaire puisse permettre au crime organisé de faire disparaître le produit de leurs activités. Pourtant cette tradition de secret est presque aussi ancienne que l’activité bancaire elle-même.
Elle a originellement pour but de garantir la probité du banquier vis-à-vis de ses clients. C’est une pratique qui émane du droit des contrats et qui est devenue au fil des ans une convention admise par tous, comme celle du secret médical. Elle a même été codifiée dans plusieurs pays. Vouloir faire disparaître une telle pratique comporte ainsi des risques. En se concentrant uniquement sur les aspects socialement négatifs du secret bancaire, le législateur néglige ses atouts. La question fondamentale est donc de savoir si les coûts du maintien du secret sont plus importants que les gains, justifiant ainsi l’abolition.
Beaucoup d’arrangements contractuels trouvent leur source dans la défense des droits de propriété. Ainsi le trust est une entité de la Common Law qui a évolué au Moyen Âge et qui avait pour fonction de sauvegarder les droits des propriétaires fonciers partis aux Croisades. Aujourd’hui, la Commission européenne veut renforcer son arsenal juridique contre l’usage des trusts qui, par nature, protègent leurs bénéficiaires, mais peuvent aussi les dissimuler. Une entité qui, à l’origine, a renforcé le droit de propriété, est maintenant vue comme un frein à la transparence. Pourtant les instruments contractuels reposant sur l’anonymat, comme les actions au porteur, remplissent des fonctions essentielles.
Le secret bancaire est ainsi vilipendé alors que son rôle est d’établir la confiance entre les individus, les entrepreneurs, leurs entreprises et les établissements bancaires. Les institutions, y compris la propriété et le droit des contrats, ne peuvent pas être respectées s’il n’y a pas un fondement de confiance dans la société. Cette confiance ne se décrète pas, elle émerge de l’interaction des individus et de la multitude d’arrangements produits — dont certains reposent sur l’anonymat. Le secret bancaire n’est donc qu’un des rouages qui créent cette confiance, mais il est souvent essentiel.
Les bénéfices du secret bancaire pour la société sont indéniables. Pourtant l’activité criminelle en profite aussi. À cet effet, les gouvernements coopèrent régulièrement dans le cadre d’affaires de blanchiment d’argent. La convention fiscale de l’OCDE a été ratifiée par la plupart des pays occidentaux en 2009, elle permet un meilleur échange de données. Doit-on alors forcément abolir le secret bancaire pour lutter contre ces crimes? Pas nécessairement.
Une autre explication peut en fait justifier de la volonté de faire disparaître le secret bancaire. Les politiques contre celui-ci remontent aux années 1990 à l’époque où les pays occidentaux commencent à s’intéresser aux paradis fiscaux. Tant que les déficits budgétaires étaient faibles, personne ne se souciait trop de l’atrophie relative des bases fiscales. Mais depuis que les déficits se sont accrus, les États s’intéressent de près à tout « manque à gagner ». La disparition du secret bancaire est donc sans doute l’une des conséquences de la lutte internationale contre l’évasion fiscale.
Certains contribuables peu scrupuleux — le plus souvent des multinationales — utilisent les règles de taxation à leur avantage. Il est vrai que l’optimisation fiscale peut participer à la dégradation budgétaire. Mais ces contribuables jouent aussi un autre rôle qui ne peut être négligé. L’optimisation fiscale ainsi que l’évasion sont une sorte de marché noir, et l’on sait que tout marché noir émerge pour satisfaire une demande qui ne peut s’exprimer autrement. Les marchés noirs abondent dans les sociétés hyper-réglementées ou très corrompues (et les deux vont généralement de pair). On peut ainsi analyser l’évitement et l’évasion comme étant une réaction à une imposition trop lourde en rapport avec les bénéfices. Lorsque le taux de l’impôt sur les sociétés n’est que de 12,5% comme en Irlande par exemple, les incitations à l’évasion sont bien plus faibles que lorsqu’il est de 33%.
Les États peuvent réagir de deux façons. Ils peuvent d’une part écouter le signal que représente l’évasion et agir comme tout producteur en concurrence, c’est à dire, en améliorant leur produit (en l’occurrence en baissant les taux et en offrant un environnement plus propice aux affaires). Ils peuvent aussi décider que toute concurrence doit être abolie en se cartellisant pour limiter la possibilité que tout État propose des conditions plus attirantes. C’est cette seconde voie qui a été suivie depuis les années 1990. Et l’abolition du secret bancaire est une pièce importante de cette stratégie, au même titre que l’harmonisation fiscale européenne (qui a, jusqu’à présent, échoué) ou l’exit tax (qui a récemment augmenté).
Il est justifiable que les État luttent contre les mauvais payeurs. Cependant, la stratégie d’abolition du secret bancaire dans le but de réduire la concurrence fiscale est dangereuse. Cette concurrence est un ultime rempart contre la mauvaise gestion des dépenses publiques. Elle discipline les États en les obligeant à mieux écouter les citoyens qui demandent de meilleurs services à moindre coût.
De plus, l’abolition du secret bancaire procède du rationalisme constructiviste qui ne tient pas compte de l’évolution spontanée des règles sociales et de leur utilité. Le secret bancaire est un aspect du respect de la vie privée (article 8 de la Convention Européenne des droits de l’homme), c’est une arme contre l’arbitraire étatique, et une aide à la résistance à l’oppression (article 2 du préambule de la Constitution de 1958).
Avec l’abolition du secret bancaire et la mise en place de l’échange automatique d’informations, les États vont accroitre leur pouvoir de contrôle sur les individus et les entreprises. Certains, comme le président François Hollande, s’en réjouissent. Il y aurait en effet de quoi se réjouir si les États étaient parfaitement bienveillants et omniscients. Mais ce n’est pas le cas.
Comme l’expliquent Barry Weingast et Douglass North, un État qui a le pouvoir de faire respecter le droit a aussi le pouvoir de revenir sur ses promesses. La question fondamentale de l’économie politique constitutionnelle, comme la voyait James Buchanan, est celle de savoir comment attacher les mains du législateur avant qu’il ne soit tenté d’exproprier la richesse créée. L’érosion lente mais continue des barrières à la prédation publique est une pente glissante périlleuse. La fin du secret bancaire est un pas de plus dans cette direction.
Frédéric Sautet est économiste, consultant et auteur. Il est professeur associé à l’Université Catholique de Washington.