La légitimité infondée du paternalisme étatique
Entretien publié dans l’édition de décembre 2014 de l’AGEFI Magazine.
Le surpoids et l’obésité sont en augmentation depuis
plus de quarante ans dans beaucoup de pays
du monde. Les Nations Unies affirment que l’obésité
est maintenant une menace plus importante
que le tabagisme. Aujourd’hui, 15% des adultes en
France sont considérés comme obèses – ils ont un
indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 – alors qu’ils
n’étaient que 8,5 % en 1997. Aux États-Unis, un tiers de la population
est dite en «surpoids» (avec un IMC compris entre 25
et 30) et un autre tiers est obèse. Ces chiffres ont doublé depuis
1980. L’accroissement de la consommation d’aliments jugés de
mauvaise qualité nutritionnelle (qui contiennent en particulier
des matières grasses saturées ou des sucres rapides) est tenu pour
responsable.
En France, les sodas, et plus récemment, les huiles
riches en acide palmique, ont défrayé la chronique. Ces dernières
sont utilisées dans la fabrication de beaucoup d’aliments (comme
par exemple le Nutella) alors que leurs propriétés nutritionnelles
sont mises en doute par certains experts. Le récent rapport des sénateurs
Daudigny et Deroche (DD), ainsi que celui du professeur
Hercberg (HBG ), met en avant les problèmes de santé publique
liés à l’accroissement du tour de taille (maladies cardiovasculaires,
diabète et cancers). Le rapport HBG souligne également que
depuis son lancement en 2000, le Programme national nutrition
et santé (PNNS) n’a pas enrayé la hausse du surpoids, du diabète et
de l’hypertension. Les solutions proposées dans les deux rapports
reposent sur trois axes d’analyse: a) le coût social du surpoids;
b) l’irrationalité des consommateurs, et, dans une moindre
mesure; c) les inégalités sociales de santé.
La mise en place de nouvelles taxes sur les aliments dont la
consommation doit être réduite constituerait le remède principal.
Des subventions (financées par les recettes des prélèvements)
pour les aliments bénéfiques pour la santé viendraient renforcer
le dispositif pour inciter à leur consommation. Les rapports soulignent
néanmoins que la mauvaise nutrition et ses conséquences
sont un problème complexe qui appelle un ensemble de solutions.
Pourtant, ils privilégient essentiellement la solution fiscale. Or,
celle-ci n’est pas une panacée car ses effets sur les changements
du comportement sont souvent incertains, ce qui rend difficile la
poursuite des objectifs affichés. Frédéric Sautet, chercheur associé
à l’Institut économique Molinari, a attentivement étudié le phénomène
et nous explique son fonctionnement.
Les taxes nutritionnelles sont-elles fréquentes dans le monde?
L’application de contributions indirectes («droits d’accises»
ou taxes «ad valorem») à certaines denrées pour contrôler leur
consommation est assez ancienne. Les premières taxes sur l’alcool
ayant pour but d’améliorer la santé publique remontent au XVIIe
siècle en Angleterre. Aujourd’hui, le nombre de gouvernements qui veulent taxer les produits alimentaires qui auraient un impact
négatif sur la santé (en plus de l’alcool et du tabac) est en hausse,
même si ces taxes restent encore souvent à l’état de projet.
Plus de 39 États américains et les villes de Chicago et Washington
DC taxent les boissons sucrées. La Californie et le Texas, par
exemple, imposent une taxe sur la vente des sodas de 6,25%. En
France, le gouvernement a instauré en 2011 des prélèvements sur
les boissons contenant des sucres ajoutés et des édulcorants (ils
se montent à 7,45 euros/hl pour 2014). Et en octobre 2013, le
parlement français a voté une taxe de 1 euro/l sur les boissons
énergisantes. En tout, il existe aujourd’hui neuf prélèvements qui
correspondent à la notion de fiscalité nutritionnelle en France.
La Finlande impose une taxe de 0,075 euro/l sur les boissons
sucrées. Elle taxe aussi certains produits alimentaires sucrés comme
le chocolat au taux de 0,75 euro/kg. Depuis 2012, les Hongrois
sont taxés sur leur consommation de sel, de sucre et de caféine
(exemple: les snacks sont taxés à 250 HUF/kg soit 0,80 euro/kg).
Les habitants de l’Ile Maurice doivent s’acquitter d’une taxe sur la
consommation de soda depuis janvier 2013. Face à un taux d’obésité
croissant, le Mexique a mis en place, fin 2013, une taxe de
1 peso/l (soit 0,60 euro/l) sur les boissons sucrées ainsi qu’un prélèvement
de 8% sur les aliments contenant plus de 275 calories
pour 100g. La Norvège impose un prélèvement sur les aliments
sucrés de 7,05 NOK/kg soit 0,85 euro/kg. Enfin plusieurs pays
du Pacifique comme Fidji, Samoa et Tonga imposent des taxes ou
des prélèvements douaniers sur le sucre et les sodas.
D’autres pays comme l’Irlande, l’Italie ou encore la Malaisie ont
pour projet de suivre les mêmes politiques. En outre, ces réformes
fiscales ont poussé des pays en développement comme les
Philippines à introduire en 2013 et pour la première fois une
fiscalité draconienne visant la consommation de tabac et d’alcool.
Même Singapour veut augmenter ses prélèvements sur le tabac
et l’alcool.
Comment l’Etat justifie-t-il généralement ces taxes?
La justification économique traditionnelle de la réglementation
des comportements repose sur le principe des «externalités».
Selon celle-ci, il n’y a pas de raison pour l’État de se mêler des
choix individuels sauf si l’activité des uns génère des coûts
involontaires pour les autres. En l’occurrence, la consommation
de denrées ayant de mauvaises propriétés nutritionnelles aurait
des conséquences pour la collectivité notamment en termes de
dépenses de santé qui seraient financées par le reste de la population.
Les chiffres sont importants dans le cas de l’obésité qui
représenterait un coût de 147 milliards de dollars pour la société
aux États-Unis en 2011. Cependant, le calcul des externalités repose
sur des hypothèses qui sont critiquables. L’échelle de temps
pertinente n’est pas l’année mais la durée de vie entière. Ainsi,
certaines études montrent que les externalités du tabac sur le
long terme sont nulles si l’on prend en compte la mortalité précoce
des fumeurs. La prévention de la consommation de tabac et
d’alcool améliore l’espérance de vie mais accroît aussi les coûts
liés aux autres pathologies dues à l’allongement de la durée de
vie. De même, et d’un strict point de vue des dépenses de santé
sur la durée de vie totale, les bénéfices de la prévention de l’obésité
seraient mis en doute. En effet, les personnes obèses génèrent
des surcoûts de santé mais au cours d’une vie plus courte, ce qui
compenserait les dépenses liées au surpoids.
Enfin, s’il existe des externalités, elles ne seraient pas causées
par une défaillance du marché mais par les réglementations
qui interdisent de lier les primes d’assurance santé au poids de
la personne, ce qui réduit fortement les incitations à diminuer
la consommation d’aliments nutritionnellement pauvres et fait
supporter les coûts médicaux par les contribuables.
Une externalité ne serait donc pas seulement liée aux coûts subis par
les autres mais aussi aux coûts subis par soi-même dans le futur?
Oui, les économistes appellent cela une «internalité». Dans certaines
circonstances, les individus ne seraient pas assez rationnels
et l’État devrait les empêcher de regretter demain leurs décisions
présentes. Mais la consommation de graisses saturées, de sucres,
et d’alcool n’est pas forcément le résultat d’une irrationalité individuelle.
Il est certain que les individus peuvent se tromper
et que les comportements témoignant d’une addiction existent.
Cependant, il convient d’analyser l’ensemble des phénomènes
pouvant expliquer la prise de poids sans pour autant supposer
que les individus ont peu de contrôle sur eux-mêmes. Notamment,
cette consommation témoignerait d’un accroissement de
la valeur du temps.
L’augmentation de la sédentarité, à cause de l’émergence de la
société des services et de l’accroissement de la productivité du
travail, est un facteur dans la prise de poids. Ainsi, l’activité physique
journalière a fortement baissé. Les pays riches ont vu la
part des travaux pénibles diminuer au XXe siècle. Ceci tendrait à
montrer que le surpoids et l’obésité sont liés au progrès technologique
qui économise l’activité physique. Il est donc parfaitement
rationnel de profiter d’un travail moins pénible même s’il contribue
à diminuer l’activité physique journalière (y compris par le
temps passé dans les transports en commun). L’émergence des
clubs de sport depuis les années 1970 est une réponse du marché
à la baisse de l’activité physique quotidienne. Mais faire de l’exercice
a aussi un coût en termes de temps passé à faire autre chose,
ce qui limite ses effets.
Un autre phénomène est celui de la baisse du coût de la nourriture
due à l’accroissement de la productivité et du pouvoir d’achat.
En France, la part en valeur des dépenses alimentaires est passée
de 30,6% du budget de consommation en 1959 à 15,4% en 2013.
Aux États-Unis, elle est de 9,8% en 2011. De surcroît, les Américains
vont de plus en plus au restaurant: en 1966, une famille
y dépensait 31% de son budget nourriture, alors que ce chiffre
est de 46% aujourd’hui. Quant aux Français, ils mangent de plus
en plus de plats préparés au sein du repas (41% des dépenses
alimentaires) et moins de produits frais. Ces faits reflètent l’accroissement
de la valeur du temps. La baisse du prix de la nourriture
et la consommation accrue de produits préparés ont eu pour
conséquence une augmentation de la prise de calories journalière
depuis les années 1970.
La nourriture moins coûteuse ainsi que le progrès technologique
(y compris le développement de nombreux médicaments qui
aident à lutter contre le diabète et l’hypertension) ont eu des conséquences
inattendues sur le poids qui s’expliquent notamment par
une augmentation de la valeur du temps dû à l’accroissement des
ressources à notre disposition. Les individus ont plus de choix
mais n’ont toujours que 24 heures dans une journée. Ainsi, il est
rationnel de vouloir économiser le temps (exemple: en mangeant
au restaurant ou en utilisant l’automobile ou le train) pour passer
plus de moments en famille ou dans la poursuite de loisirs.
Un autre argument en faveur de la fiscalité nutritionnelle repose
sur l’idée qu’il existerait des inégalités sociales de santé selon
lesquelles les classes populaires n’auraient pas accès à la meilleure
nourriture d’un point de vue nutritionnel. Un état de fait que l’État
se devrait de corriger…
Oui, cet argument égalitariste ignore l’évolution des revenus
réels des ménages, celle des prix relatifs des denrées alimentaires
et celle des quantités consommées. Outre le fait que la part du
budget alimentaire a diminué de moitié depuis 1950 en France,
les prix d’aliments de base comme les oeufs, le beurre et le sel,
ont baissé en termes réels depuis 100 ans permettant aux familles
pauvres de mieux se nourrir. Les consommations de pain, de
pommes de terre et de légumes secs (les haricots étaient autrefois
la «viande du pauvre»), et plus généralement de féculents ont
fortement baissé depuis 1900 en France reflétant l’accroissement
du pouvoir d’achat qui a favorisé la consommation de produits
autrefois trop chers comme les aliments sucrés, les oeufs, les viandes
et les poissons. Ainsi, même si les classes sociales modestes ne
consomment pas les meilleurs aliments d’un point de vue nutritionnel,
elles consomment plus de denrées essentielles qui jadis
étaient hors de leur portée.
En ce sens, le fast-food est souvent dénoncé comme une source
d’aliments nutritionnellement pauvres. Mais il a contribué à
réduire le coût de l’apport en protéines, ce qui n’est pas négligeable
lorsque l’on a plusieurs bouches à nourrir. De surcroît, il
est aussi une réponse à l’accroissement de la valeur du temps, y
compris celui des bas revenus.
Cette politique peut-elle se révéler efficace?
Le problème majeur de la fiscalité nutritionnelle est celui d’estimer
son impact. Il faut ainsi avoir une idée précise de la sensibilité
des individus aux variations de prix (les «élasticités prix»). Une
première difficulté vient de l’impossibilité de connaître ces élasticités
avec précision. De ce fait, la fiscalité nutritionnelle pourrait
avoir des effets contraires à ceux initialement recherchés en
générant une forte réponse de la part de ceux qui consomment
modérément des aliments nutritionnellement pauvres, sans pour
autant changer le comportement de ceux qui en abusent car ces
derniers sont généralement moins sensibles au prix. Ainsi, on
pourrait assister à une diminution de la consommation modérée
d’alcool, mais pas de l’alcoolisme. De même pour l’obésité. Une
augmentation des prix de certains produits alimentaires pourrait
conduire à un accroissement de l’activité culinaire aux dépends de
l’activité physique et donc à une prise de poids. En outre, lorsque
la consommation de boissons sucrées ne représente qu’une faible
partie de l’apport calorique journalier, une augmentation des taxes
n’aurait qu’un effet limité sur l’IMC d’une personne en surpoids.
L’impact de la fiscalité (l’incidence) n’est pas toujours celui que
le législateur attend. On le voit dans le manque de répercussion
sur les prix à la vente de l’augmentation des taxes sur le tabac.
En effet, une taxe n’impacte pas seulement les consommateurs,
elle est aussi absorbée par les producteurs qui peuvent voir leur
marge décroître notamment sous la pression des alternatives qui
s’offrent aux consommateurs (substitutions d’autres produits,
importations illégales, etc.). Une autre conséquence indésirable
pour le législateur est la fuite devant l’impôt. Lorsque la «fat tax»
était en place au Danemark, jusqu’à 48% des Danois allaient faire
leurs courses à l’étranger. Cette fuite peut aussi contribuer à
accroître la consommation des biens taxés si les consommateurs
achètent «en gros» dans une juridiction voisine.
Au demeurant, une trop haute fiscalité contribue à développer
un marché noir comme en Russie où la quantité de vodka fabriquée
illégalement a fortement augmenté après l’accroissement
des taxes sur l’alcool en 2013.
La taxation nutritionnelle est fortement limitée par les réactions
des consommateurs et des producteurs. Les consommateurs peuvent
substituer aux aliments taxés des denrées non (ou moins)
taxées (et aussi pauvres d’un point de vue nutritionnel).
En France, les jus de fruit sans sucre ajouté ne sont pas taxés et
pourraient bénéficier à terme de la taxe sur les sodas sans que cela
ne réduise la quantité de sucre ingérée. Les consommateurs pourraient
aussi reporter leur choix d’une marque prémium vers une
marque distributeur. L’effet substitution impliquerait une solution
plus étendue en termes de taxation, ce qui contribuerait à complexifier
encore plus l’assiette fiscale. Il s’avère également que les ménages
les plus pauvres supportent une grande partie du fardeau fiscal
car en proportion de leur budget, ils consomment plus de denrées
taxées. Enfin, il n’est pas toujours simple de définir ce qui peut
être considéré comme une boisson sucrée ou énergisante. Certains
États américains taxent le Frappuccino (une boisson produite par
Starbucks) alors que d’autres ne le font pas car elle contient du
lait, de la caféine et n’est pas gazeuse.
L’irrationalité individuelle et le manque d’information sont souvent
avancés comme justifications d’un paternalisme bienveillant dont
le but serait d’inciter les agents à faire les bons choix. L’imposition
d’un étiquetage fournissant une meilleure information est un exemple
notoire. Cependant, l’intrusion de l’État dans nos assiettes n’est
pas sans effets indésirables…
Lorsque l’État s’en mêle, les solutions qui émergent sur le marché
et qui sont, du reste, bien moins onéreuses pour la société dans
le long terme, sont sous-estimées ou ignorées. Le développement
rapide des produits biologiques et des produits à haute qualité
nutritionnelle en Europe et aux États-Unis en est une évolution
manifeste du marché. La production de produits biologiques, bien
qu’encore relativement coûteuse, est en progression de 20% annuellement depuis 1990 aux États-Unis. Les entrepreneurs ont
des incitations à offrir de meilleurs produits nutritionnels pour la
plus grande masse de consommateurs.
Lorsque l’État s’en mêle, la satisfaction que les individus retirent
de leurs activités (y compris de la nutrition) et les différences
entre les individus en ce qui concerne la prise de risque et la
gratification présente sont ignorées. Le rapport HBG se lamente
de l’échec partiel du système volontaire de réduction du sel dans
le pain, mais ne mentionne pas l’idée que le marché répond aux
désirs des consommateurs.
Lorsque l’État s’en mêle, les décisions politiques trouvent leur
raison d’être dans la dynamique des groupes de pression. Le lobbying
existe à la fois pour éviter, légitimement, la mise en place
de taxes et de réglementations, mais aussi de façon à faire passer
des législations qui soient bénéfiques à certains groupes. Il est, à
ce titre, symptomatique que les recettes des taxes nutritionnelles
ne soient que rarement utilisées pour lutter contre les problèmes
de santé. Elles sont souvent allouées au budget général.
Lorsque l’État s’en mêle, l’information pertinente est appauvrie.
L’usage de la notion d’IMC
porte à controverse. C’est un
ratio statistique qui ne fait
aucune différence entre la
masse musculaire et la masse
graisseuse. Malgré cela, l’IMC
est la pierre angulaire de la
politique contre l’obésité.
Au demeurant, la présomption
dont font preuve les experts
en ce qui concerne les effets
des substances en question
et des politiques qu’ils veulent mettre en place est confondante.
Pourtant on est revenu du «tout sans matière grasse» des années
1980. En fait, il n’est même pas certain que les acides gras saturés
aient les effets négatifs tant décriés. Un nombre croissant d’études
rejette le lien entre ces graisses et les maladies cardiovasculaires.
Elles montrent que l’obésité serait avant tout le symptôme de pathologies
endocriniennes plutôt que le résultat d’un déséquilibre
calorique seul.
De même, et bien que dénigrée, l’huile de palme présente des propriétés
nutritionnelles intéressantes et offre des avantages économiques
importants.
Ainsi la question de la légitimité du paternalisme étatique se pose,
surtout lorsque les taux considérés pour les taxes sont de l’ordre
de plus de 20%. La taxation nutritionnelle est un instrument
rudimentaire qui ne fait aucune distinction entre l’individu qui
consomme modérément des graisses saturées (et qui ne devrait
pas être sujet à la taxation) et celui qui en abuse. En revanche
l’instauration de prélèvements fiscaux est économiquement coûteuse
et nourrit l’interventionnisme étatique. L’expérience de la
«fat tax» au Danemark montre que le législateur ne peut ignorer
les coûts associés à l’existence des taxes. Or les rapports DD et
HBG mettent en avant les soi-disant avantages de la fiscalité nutritionnelle,
mais sous-estiment les coûts d’un système complexe
de taxes et de subventions.
Qu’en concluez-vous?
L’impact de la fiscalité sur la réduction de la consommation
d’aliments nutritionnellement pauvres est incertain. Même si les
objectifs sont louables (ce qui est discutable), le risque est grand
de mettre en place des contraintes supplémentaires sur l’activité
économique sans obtenir les bénéfices attendus en terme de santé
publique (notamment en ce qui concerne l’amélioration des résultats
du PNNS) et tout en nourrissant la dynamique de l’interventionnisme
étatique qui sclérose la société française.
Les experts et les pouvoirs publics ont tendance à dépeindre une
situation en noir et blanc alors que les choses s’avèrent être plus
complexes. Le surpoids et les pathologies qu’il entraîne sont un
problème relativement nouveau dans l’histoire de l’humanité.
Nous ne possédons pas encore toutes les connaissances qui nous
garantiraient une solution adéquate. Même si les taxes nutritionnelles
semblent apporter une réponse, il serait important de comprendre
leurs limites, notamment en termes de comportements
rationnels d’évitement car les coûts économiques de l’impôt sont
élevés dans le long terme.
Mais il ne faut pas se cacher la face. En ces temps difficiles pour
le Trésor public, le but inavoué du regain d’intérêt pour ce type
de prélèvement est de générer plus de recettes fiscales. Il existe
de nombreux antécédents. Le président F. Roosevelt mit fin à la
prohibition de l’alcool aux États-Unis pour accroître les recettes
fiscales. À cause de la Grande Dépression, le Congrès avait un
besoin urgent de financements et le meilleur moyen d’en obtenir
était de mettre en place des taxes sur l’alcool.
Il est toujours préférable de changer le contexte dans lequel les individus
prennent des décisions de façon à ce qu’ils internalisent les
externalités qu’ils créent. À ce titre, l’obésité n’impose pas ou peu
d’externalités si les individus en supportent les coûts. Il faut donc
s’assurer que les incitations à réduire l’obésité soient en place. En
outre, en imposant le cadre théorique du déséquilibre calorique,
la fiscalité nutritionnelle limiterait l’émergence d’idées nouvelles
pouvant aider à réduire le surpoids. Au final, il faut savoir garder
une certaine humilité devant le processus social et biologique. La
société occidentale, ouverte et reposant sur la libre entreprise, ne
date que de la fin du XVIIIe siècle. Il est possible que le corps humain,
après des millénaires de survie dans la pénurie, ne soit pas
encore adapté à l’abondance que génère le capitalisme.
Frédéric Sautet est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.
Propos recueillis par Noël Labelle