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« L’étatisation n’a jamais permis de maîtriser les coûts » -Cécile Philippe

Interview publiée dans l’édition de janvier 2015 du magazine Médecin de France.

La France, selon vous, ne serait pas sur la voie du libéralisme triomphant, mais vers celle de l’étatisation. Qu’est-ce qui vous le fait dire?

Cécile Philippe : ll suffit de constater
les faits. Dans les années 80, les
dépenses publiques dépassent les
50 % du PIB. Peu à peu, les choix
publics se sont substitués aux choix
privés. Ce n’est d’ailleurs pas propre
à la France. Ce mouvement s’inscrit
dans une évolution qui court tout au
long du XXe siècle dans tous les
pays développés. Toutefois, en France,
nous en sommes a 57% de dépenses
publiques et les prélèvements obligatoires
ne sont pas loin de passer la
barre des 50%. Près de 90% des
revenus des retraités proviennent de
transferts sociaux, ce qui fait de la
France, un cas unique au monde.
Dans tous les autres pays, il y a un
mixe entre épargne capitalisée et
retraite par répartition. L’Etat dépense
beaucoup. La France et la Belgique
sont les deux pays les plus
fiscalisés d’Europe. En France, on
travaille jusqu’au 28 juillet pour
payer les impôts et les cotisations
sociales.

Nous avons une gestion publique des
principaux risques – santé, retraite,
chômage – auxquels il faut ajouter
les risques technologiques depuis
l’inscription dans la Constitution du
principe de précaution. Ce principe a
un impact très fort sur le système de
santé où on a besoin d’innovation,
mais où les risques sont élevés, qu’il
s’agisse du médicament ou des
transfusions sanguines par exemple.
En réalité, nous sommes dans un
système extrêmement étatisé. Or,
la gestion publique peut s’avérer
dangereuse pour une gestion avisée
des risques.

Et quelles en sont les conséquences pour le pays?

L’économie planifiée ne permet pas de
faire de véritables calculs économiques. La gestion
publique fait disparaître le mécanisme des prix. Pourtant,
dans une société de plus en plus complexe qui repose sur
la division du travail et la spécialisation des tâches et où,
pour le moindre produit, nous avons de plus en plus besoin
des autres, le mécanisme des prix est essentiel. Quand la
ministre des Affaires sociales prétend que la santé n’a pas
de prix, cela fait frémir, car sans prix,
le système fonctionne à l’aveugle et
on se trouve dans l’incapacité de
savoir quelles sont les priorités de
santé pour satisfaire les besoins des
patients. Si on se prive du mécanisme
des prix, on se prive d’une source
d’informations cruciales, on se prive
de la boussole qui permet de faire des
choix éclairés et ceux que l’on fait,
peuvent se révéler désastreux. Le
mécanisme des prix ne va pas sans
concurrence. La concurrence entre
les prestataires permet par ailleurs
de sélectionner les bonnes pratiques.
Si l’on veut que les patients s’expriment,
il faut qu’ils puissent choisir, et
si l’on veut qu’ils puissent choisir, il
faut une concurrence et des prix.

Les pays où les assurances santé
sont très privatisées sont également
ceux dont le pourcentage du PIB
consacré à la santé est le plus élevé
(États-Unis, Suisse) sans que les
indicateurs de santé soient supérieurs
aux autres. Quelle réflexion
vous inspire ce constat?

Il est erroné de dire
que le système de santé américain
est privé. C’est un système hybride
qui ne permet pas de poser l’équation
« système privé = système coûteux ».
Par ailleurs la question des coûts
n’est pas primordiale si les personnes
les assument en adhérant à
un système auquel ils ont consenti. Si
le coût des assurances sociales pose
problème, c’est parce qu’elles sont
étatisées. L’ampleur colossale des
dépenses publiques pose un vrai
problème à cause des déficits
qu’elles ont creusés. La question de
la dépense publique et de la réforme
de l’État en France est d’abord une
question de protection sociale,
comme cela a été le cas en Suède ou
au Canada.

Pourtant les dépenses sociales ne représentent qu’une faible partie de la dette de notre pays…

Elles représentent 30% du PIB et la
partie la plus importante des déficits structurels. Et
surtout, elles sont financées par tes revenus du travail. Le
coût de la protection sociale handicape notre économie.

Mais, en elles-mêmes, est-ce que les prestations coûtent trop
cher? On n en sait rien. Compte tenu du vieillissement
de la population, on peut penser que les patients consommeront
encore plus de soins. Il est possible que les
individus veuillent dépenser plus pour leur santé, si le choix
leur en est donné. Le problème est que, dans un système
étatisé, ces choix s’imposent à tout le monde sans qu’ils
aient été débattus. Dans le système anglais par exemple,
les ressources ont été limitées de façon comptable si bien
que les choix concernant la santé de chacun sont faits par
d’autres. ll suffit de se rapporter aux scandales qui ont
frappé le National Health Service au Royaume-Uni où des
médecins ont été conduits, sous la pression budgétaire, à
arrêter des soins sans demander leur avis aux malades ou
à leur proche. Bien sûr, il y a des choix à faire, en fin de vie
notamment, mais il est légitime que les patients veuillent
être partie prenante des décisions. Le minimum est de pouvoir
discuter de ces décisions.

L’autre problème des systèmes étatisés, ce sont les listes
d’attente. On l’a vu au Canada, en Suède, aux Pays-Bas, en
Angleterre. Sous le gouvernement de Tony Blair, on a
assisté à une explosion des dépenses pour, justement,
tenter de juguler ces files d’attente.

Quels sont les modèles sociaux qui ont été « repensés » dans les pays de l’OCDE? Pourquoi? Comment?

L’étatisation d’un système de santé n’a
jamais permis de maîtriser les coûts. En pleine crise des
dépenses publiques, les Suédois se sont attaqués aux
dépenses de la protection sociale, en particulier au
système de santé qui était totalement étatisé. Ils ont mené
des expériences, notamment de privatisation de certains
hôpitaux dans la région de Stockholm, ce que l’on a
appelé « le modèle de Stockholm ». Ce « modèle » a montré
que, lorsque l’on donne de la flexibilité
au secteur de la santé, les coûts baissent
et les files d’attente diminuent, et cela
très rapidement.

En 2006, les Pays-Bas ont osé soulever
le tabou du monopole de la sécurité
sociale en redonnant de la flexibilité au
système. Des filières ont été créées par
les assureurs. Mais, à la différence des
filières de soins imposées du sommet,
elles sont parties du terrain, l’approche
« bottom-up » a été privilégiée à
l’approche « top-down ».

Mais le temps des réformes est toujours
long. Par ailleurs, les systèmes étatisés
sont très soumis au pouvoir et très sujets
aux alternatives politiques, si bien
qu’une réforme est annulée par une
autre réforme.

Les listes d’attente au Canada auraient été à l’origine de décès. Est-ce exact?

Dans 12 spécialités
médicales, les listes d’attente vont de 9,2
semaines à 18,2 semaines en 2013.

Comme les médecins sont soumis à des quotas de prestations
et que la moitié d’entre eux les ont atteints en cours
d’année, ils arrêtent d’exercer, car il ne faut pas qu’ils
dépensent trop. Il est impossible d’avoir un rendez-vous
dans la journée chez son médecin généraliste. Tout ceci
génère chez les patients des angoisses et du stress qui ont
un coût humain et économique. Mais ces coûts sont exclus
du calcul purement comptable.

Un médecin, le Dr Chaoulli, a même intenté un procès au
gouvernement fédéral. Ce procès a abouti à un arrêt historique
de la Cour suprême reconnaissant que des patients
sont décédés « en raison des listes d’attente pour la prestation
de soins de santé publics». Depuis cet arrêt, il y a eu
des évolutions. Une offre privée commence à se développer.
Des cliniques privées ont été créées qui essaient de se
substituer au système public.

Dans quel sens faut-il « repenser » le modèle français pour réaliser des économies ?

Depuis des années, les gouvernements
qui se succèdent tentent de procéder à une maîtrise comptable
des dépenses publiques. Mais comme on ne procède
à aucune approche humaine et économique qui essaie de
comprendre comment les gens interagissent, celle-ci
échoue à chaque fois. Va-t-on encore une fois procéder à
exercices comptables ou avoir une vision de la société?

Or, nous avons encore tous les fondamentaux nécessaires
pour préserver notre système de soins. Une bonne partie
des prestataires est privée et l’on peut dire que le secteur
privé est aussi en grande partie ce qui fait le succès de
notre système de santé, ce pour quoi il est envié par d’autres
pays Les professionnels sont très
bien formés. Il faudrait arrêter
de vouloir contrôler la liberté d’installation
des médecins. Si l’on veut
vraiment résoudre la question de la
désertification médicale, il faut
cesser de vouloir contrôler les tarifs
des médecins. Il faut que les médecins
soient incités à s’installer dans
ces zones. La rémunération sur
objectifs de santé publique ne pose
en elle-même pas de problème tant
que l’assureur n’est pas en situation
de monopole et dans la mesure où
il peut être sanctionné par ses
clients. Mais l’assurance maladie en
situation de monopole impose des
choix qui ne peuvent subir le test du
marché.

Notre système fonctionne de plus en
plus sur un mode politique et donc
plus contraint que choisi, ce qui est
contraire à l’évolution de la médecine
où l’on personnalise de plus en plus
les traitements. On est en train de
tout normer. À la place de comptables,
il faudrait des économistes.

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari. Elle est l’auteur de «Trop tard pour la France? Osons remettre l’État à sa place», aux éditions les Belles Lettres (Collection Manitoba).

Cécile Philippe

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