Réduire la faim dans le monde ou les inégalités?
Texte d’opinion publié le 28 janvier 2015 dans L’Opinion.
Un rapport publié lundi 19 janvier par Oxfam alerte sur une « explosions des inégalités [qui] entrave la lutte contre la pauvreté dans le monde ». L’ONG est bien plus alarmiste que les travaux des Nations-Unies dédiés à la lutte contre la faim. Oxfam insiste dans son rapport sur l’augmentation des disparités, en se basant sur des données issues de travaux du Crédit Suisse et du magazine Forbes. L’ONG en appelle à un sommet mondial sur la fiscalité visant à taxer davantage le capital.
Le constat est a priori implacable, les écarts de richesse ne cesseraient d’augmenter. Oxfam s’appuie sur le classement annuel du magazine Forbes montrant que le patrimoine des 80 personnes les plus riches du monde a augmenté de 10% par an depuis 2010. Selon elle, la part du patrimoine mondial détenu par les 1% les plus riches ne va pas cesser de croître pour atteindre 54% en 2020. Dans le même temps, les pauvres seraient de plus en plus pauvres. D’où l’appel en faveur d’une intensification de la lutte contre les inégalités.
L’analyse des chiffres utilisés révèle cependant un biais partisan. Oxfam propose de déduire la tendance des 6 prochaines années à partir des de ce qui s’est passé entre 2010-2014, ce qui est surprenant. Toutes les statistiques sont, en effet, disponibles sur des périodes plus longues. Si l’on compare le patrimoine des 80 personnes les plus riches selon Forbes entre 2008 et 2014, on trouve une augmentation de leur richesse nominale de 4% par an, un taux sans rapport avec les 10% retenus par Oxfam sur la période 2010-2014. Oxfam a occulté les années de baisse des valorisations, liées à la crise de 2007-2008, et s’est focalisé sur la période de reprise.
Regarder le patrimoine des riches quand il augmente, tout en passant sous silence les périodes de régression, renforce l’impression de hausse des inégalités. On doit aussi émettre des réserves sur l’utilisation des données du Crédit Suisse. Si au lieu de regarder exclusivement les 4 dernières années, on s’appuie sur l’intégralité des données publiées par la banque depuis 2000, on constate que les inégalités n’augmentent pas. Les 1% les plus riches détenaient 48,2% de la richesse mondiale en 2014, contre 48,7% en 2010. Les inégalités ont très légèrement baissé durant les 14 dernières années, là où Oxfam prédit qu’elles vont croître de 10 points en 10 ans.
Au-delà de leur caractère discutable, les projections de l’ONG ne nous aident pas à comprendre ce qui se passe, en masquant une tendance de fond très encourageante.
La dernière étude des Nations unies montre que l’insécurité alimentaire régresse. Sur la période 2012-2014, 805 millions de personnes ont souffert chaque année de faim chronique, c’est 125 millions de moins qu’entre 2000-2002. La part des personnes sous alimentées est passée de 14,9% à 11,3% de la population mondiale. Il reste bien sûr d’énormes foyers de pauvreté –notamment en Inde, en Chine, au Pakistan et en Ethiopie – mais on constate une nette amélioration liée aux progrès économiques.
Ajoutons que le lien entre réduction des inégalités et réduction de la pauvreté est loin d’être établi. Il est même possible que la réduction de la pauvreté, fixée par la Banque mondiale à 1,25 dollar américain par jour, ou de la malnutrition s’accompagne d’une hausse des inégalités. En Afrique, en Inde ou en Chine, on constate que la baisse de la proportion de personnes sous alimentées coïncide avec une augmentation des inégalités. La situation est particulièrement emblématique en Chine où le nombre de malnutris a baissé de 40% depuis le début 2000 tandis que les inégalités doublaient. Le 1% des Chinois les plus riches possède désormais 37% de la richesse, contre 19% en 2000. Vu des pays où l’on continue à mourir de faim, la priorité est radicalement différente de celle proposée par Oxfam. L’enjeu est de permettre aux économies de se développer pour réduire l’extrême pauvreté, quitte ce que cela crée des inégalités entre ceux qui restent pauvres ou s’en sortent. Ces pays misent sur le développement économique, bien plus que sur des aides. Sur le long terme, ils font le choix gagnant : le développement est le meilleur remède contre la pauvreté.
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.