Le principe de précaution poursuit inexorablement sa route : le cas des néonicotinoïdes
Texte d’opinion publié le 15 juin 2015 dans La Tribune.
Le principe de précaution poursuit inexorablement sa route : c’est le cas avec les néonicotinoïdes, ces insecticides d’un type nouveau qui ont été interdits au nom de la préservation des abeilles. Alors même que rien ne prouve qu’ils sont à l’origine de leur destruction.
Aujourd’hui, le principe de précaution est omniprésent. Il est devenu une sorte de « passe-partout » universel pour les politiques souhaitant interdire n’importe quel produit. Après l’interdiction des OGM, puis celle du BPA, la France veut maintenant interdire l’ensemble des insecticides de la famille des néonicotinoïdes.
Ainsi, l’Assemblée nationale a voté, en début d’année et dans le cadre du projet de loi sur la biodiversité, l’interdiction à compter de janvier 2016 des produits phytosanitaires de cette famille d’insecticides, accusés de nuire aux abeilles. Le projet de loi va maintenant être examiné au Sénat fin juin.
Effets indésirables?
Le discours militant entourant cette question se focalise sur les éventuels effets indésirables de ces produits sans chercher à savoir s’ils se révèlent plus efficaces et moins nocifs que leurs prédécesseurs. L’opinion publique, quant à elle, travaillée par cet activisme anti-progrès technologique et son attachement aux abeilles, a plutôt tendance à soutenir cette interdiction. Au mieux, elle ne voit pas pourquoi il faudrait la combattre activement.
Un stresse biotique…
À notre époque, le citadin moyen n’a plus la moindre notion de ce qu’est le stress biotique et abiotique. Le premier résulte de l’exposition du champ à divers ravageurs : animaux nuisibles (insectes, acariens, nématodes, rongeurs, limaces et escargots, oiseaux…), organismes phytopathogènes (virus, bactéries, champignons, chromistes…) et plantes dites adventices (plus connues sous le nom de « mauvaises herbes », végétaux indésirables ponctionnant les ressources vitales des cultivars). Le second type de stress est lié aux sécheresses, inondations et gelées, au manque de certains nutriments ou encore à la toxicité des sols ou de l’air.
…qui provoque de lourdes pertes agricoles
Un rapport de 2009 estimait à près de 131 milliards de dollars les pertes agricoles mondiales dues au stress biotique, dont 95 milliards de dollars pour les seules mauvaises herbes, et 70% dans les pays en développement. Les sources de stress abiotique expliquaient, pour leur part, entre 6% et 20% des pertes agricoles.
C’est pourquoi, de tout temps, les agriculteurs se sont efforcés de protéger la récolte au moyen de diverses pratiques et techniques innovantes relevant de la chimie (engrais et pesticides), de la biotechnologie (sélection, croisements d’amélioration) ou de la gestion (rotation des cultures, gestion intégrée des parasites, calendrier et logistique agricoles).
Évidemment, aucune innovation scientifique ne peut prétendre à la perfection. De fait, la question devrait seulement être de savoir si elle engendre effectivement une situation moins problématique que celle qui l’a précédée. C’est à ce genre de question qu’il faudrait pouvoir répondre au sujet des néonicotinoïdes.
L’interdiction, une solution naïve apportée à un problème complexe
Car ne nous y trompons pas, leur interdiction ne créera pas un monde meilleur, tout simplement parce qu’elle applique une solution naïve à un problème complexe. Elle ne fera effectivement pas disparaître le stress que subissent les récoltes, ni le besoin des individus de se nourrir. Par conséquent, elle ne fera pas non plus disparaître la nécessité de recourir à des agents protecteurs des récoltes.
En bout de ligne, l’interdiction de ces insecticides – principalement accusés de nuire aux abeilles (dont le problème de mortalité semble pourtant être multi-variable) – va conduire les agriculteurs à les remplacer par des produits a priori moins performants puisqu’ils les avaient justement remplacés. Or justement, il semblerait bien que ces néonicotinoïdes – aussi peu attrayants qu’ils apparaissent – présentent bien des avantages.
Des produits plus sûrs pour les humains
Tout d’abord, comme l’explique le chercheur Henry I. Miller, ces produits sont beaucoup plus sûrs pour les humains et les autres vertébrés que les générations de pesticides qui les précèdent, tels que les carbamates ou les organophosphorés.
Ensuite, ils seraient plus sélectifs dans leur mode d’action que leurs prédécesseurs. « Utilisé comme moyen de traiter les semences ou appliqué au niveau des racines, le pesticide est assimilé par la plante et devient plus dilué au fur et à mesure que la plante grandit, de sorte que les concentrations sont plus faibles dans les fleurs et les fruits des plantes. De loin, on trouve les plus fortes concentrations de néonicotinoïdes dans les tiges et dans les feuilles – là où les insectes nuisibles pour les plantes se nourrissent le plus souvent – et non pas dans les fleurs que les pollinisateurs butinent.
L’idée que la perfection est de ce monde
Du coup, surtout au moment où les jeunes plants sont les plus vulnérables, les néonicotinoïdes leur permettent de contrôler uniquement les insectes qui s’en nourrissent. C’est un progrès notable par rapport à d’autres pesticides qui tuent les insectes de façon indiscriminée. »
Enfin, un seul traitement des semences suffirait, avec parfois une pulvérisation supplémentaire pour toute la saison, là où avec d’autres produits, il faut multiplier les pulvérisations tout au long de la saison.
Ces améliorations peuvent peut-être sembler négligeables mais c’est pourtant comme cela que les choses progressent, par un processus d’essais et d’erreurs auquel l’application du principe de précaution met un coup d’arrêt brutal.
Fondé sur le risque zéro (autrement dit, l’idée que la perfection est de ce monde) et n’ayant que l’apparence du bon sens, il interdit de facto l’émergence de modes d’action meilleurs ou moins nocifs, en particulier l’application de la chimie et de la biotechnologie aux systèmes agricoles.
Il est important que l’opinion publique comprenne que ces interdictions ne sont pas la solution aux problèmes que nous devons résoudre au quotidien. De cette façon, les politiques auront sans doute une incitation puissante à en faire usage avec modération et à en comprendre les effets pervers.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.