L’austérité peut ne pas nuire
Texte d’opinion de Patrick Coquart, associé dans un cabinet de conseil en management, publié en exclusivité sur le site de l’IEM
Contre toute attente, David Cameron a gagné les élections législatives du 7 mai 2015 au Royaume-Uni. Dans la foulée, il a retrouvé son poste de premier ministre.
C’est bien une victoire surprise vue de France où la presse, même si elle était obligée de reconnaître la relative bonne santé de l’économie britannique, s’empressait illico de noircir le tableau, par exemple en consacrant ses reportages au désormais fameux « contrat zéro heure » ou à l’essor des banques alimentaires. De plus, les sondages donnaient le camp conservateur perdant.
Pourtant, le Royaume-Uni a fait figure, sous la conduite de Cameron, de laboratoire de l’austérité. Le FMI a même mis en garde contre les dégâts qu’allaient entraîner des coupes budgétaires trop importantes. Les néo-keynésiens, avec Paul Krugman à leur tête, ont fustigé la politique de George Osborne, le chancelier de l’échiquier.
Mais les Britanniques n’ont pas suivi la voie des Grecs, ni celle des Espagnols, en portant au pouvoir des contestataires d’extrême-gauche. C’est sans doute, commentent certains observateurs, que l’austérité n’en était pas vraiment une. Une opinion que partagent nombre d’économistes libéraux qui mettent en avant l’accroissement continu en valeur des dépenses publiques, en particulier des dépenses sociales.
Qu’en est-il réellement ? L’Institut de l’entreprise s’est posé la question dans une étude[Eudoxe Denis, Le Royaume-Uni, laboratoire de l’austérité? Les enjeux du budget du 18 mars, Institut de l’entreprise, Policy paper.]] d’Eudoxe Denis. Celle-ci s’inscrit dans la lignée des travaux réalisés sur [l’Espagne, l’Irlande et l’Italie dont nous avons rendu compte.
L’auteur de l’étude rappelle combien la dette est élevée au Royaume-Uni. Et la crise n’est pas la seule responsable. En effet, entre 2001 et 2005, « le Royaume-Uni a connu une augmentation sans précédent de ses dépenses publiques ». Une augmentation qui, loin s’en faut, ne s’est pas traduite « par une efficacité accrue de la sphère publique », et qui s’est produite « à contre-courant des efforts d’assainissements budgétaires engagés au même moment dans plusieurs pays européens comme la Suède ou l’Allemagne ». C’est ainsi que le Royaume-Uni a « le troisième déficit structurel le plus élevé de l’OCDE » quand arrive la crise.
La crise entraîne une « chute des rentrées fiscales » et une « hausse des dépenses sociales qui suit celle du chômage », auxquelles s’ajoutent « le coût du sauvetage bancaire et le plan de relance concocté par Gordon Brown ». Fin 2009, le déficit budgétaire atteint 10,7 % du PIB. Parmi les pays de l’OCDE, « seuls les États-Unis (12,8 %), l’Irlande (13,9 %) et la Grèce (15,2 %) font pire ». Ajoutons que, depuis 2007, la dette publique a presque doublé pour atteindre 67,1 % du PIB.
Quand George Osborne s’installe dans son ministère en 2010, il prend un double engagement : « un retour à l’équilibre ou à une situation excédentaire du solde structurel à l’horizon de 5 ans », ce qui implique un déficit de 1,9 % du PIB et une dette de 68,8 % du PIB, et « une inflexion de la trajectoire de la dette publique » à partir de l’exercice budgétaire 2014-2015.
Cinq ans plus tard, les objectifs n’ont pas été atteints. La dette publique a connu un pic à 81,1% du PIB, et sa trajectoire pourrait commencer à s’infléchir en 2016. Quant au déficit, il s’élève à 5 % du PIB. La dette atteint 80,4 % du PIB. A priori, rien de bien satisfaisant.
Pourtant, le gouvernement Cameron n’est pas resté les bras croisés. Les mesures annoncées en 2010 ont été mises en œuvre. Mais, selon le point de vue dont on se place, la « politique d’austérité » apparaît plus ou moins sévère.
Ainsi, la baisse des dépenses publiques s’est concentrée sur certains domaines (comme les dotations aux collectivités) alors que d’autres étaient préservés (éducation, santé, retraites). Au final, la dépense publique a bien baissé de 6,5 points de PIB entre 2009 et 2014. Mais, en termes nominaux, elle s’est accrue de 9,5 %.
Si l’on considère les effectifs de la fonction publique, l’on constate qu’ils ont baissé de 387 000 sur la période, soit une réduction de 7 %. L’emploi public se situe désormais « à son plus bas niveau depuis 40 ans ».
Que conclure de tout cela ? Sans doute, l’austérité britannique n’a-t-elle été pas aussi forte que certains l’ont prétendu. Cependant, il est remarquable que cet effort néanmoins important ait été pleinement assumé, voire revendiqué, par le gouvernement Cameron. Contrairement à la Grèce ou à l’Irlande, la politique de rigueur britannique n’a pas été imposée par les institutions internationales.
Et pendant la campagne électorale, il n’a pas été caché aux électeurs que l’effort de consolidation budgétaire serait poursuivi sur le même rythme pour atteindre au total 10,1 points de PIB entre 2009 et 2019.
Certes, David Cameron n’a probablement pas gagné les élections grâce à l’austérité, quelle soit réelle ou supposée. Mais elle ne semble pas lui avoir nui. C’est que le Premier ministre pouvait se prévaloir d’autres beaux succès.
Tout d’abord, la baisse du chômage. L’emploi privé s’est accru de 4,8 millions entre 2010 et 2014, « soit 4,8 emplois privés créés pour un emploi public détruit ».
Ensuite, même si l’expression n’est plus mise en avant, la Big Society est un succès, en particulier dans le domaine éducatif avec de plus en plus d’écoles « libérées ».
C’est cet ensemble de mesures et de résultats qui a permis à Cameron d’être réélu.
Et cela semble faire évoluer les mentalités. Ainsi, d’après le British Social Attitude survey, seuls 37 % des Britanniques souhaitent augmenter à nouveau les dépenses publiques. Un sondage YouGov, publié en janvier 2015, allait dans le même sens puisque seuls 32 % des Britanniques étaient favorables à des « moyens accrus pour les services publics et l’investissement public, même si cela devait se traduire par davantage de déficit et de dette publique ».
David Cameron a désormais cinq ans devant lui pour poursuivre les efforts et atteindre ses objectifs. Nous en reparlerons le moment venu.
Patrick Coquart est associé dans un cabinet de conseil en management.