Le prélèvement à la source, une source de problèmes
Texte d’opinion publié le 3 juillet 2015 dans l’Opinion.
Alors que le gouvernement proposait de simplifier les fiches de paie, une mesure censée générer des centaines de millions d’économies par an à partir de 2016, il vient d’annoncer la généralisation du prélèvement à la source à partir de 2018. Ce choix pourrait s’avérer fort coûteux pour des gains bien hypothétiques.
Les employeurs, ou les banques selon les scénarios, seraient chargés de prélever à la source l’impôt sur le revenu. En 2012, le conseil des prélèvements obligatoires estimait qu’une telle mesure coûterait aux entreprises entre 1,3% et 3,5% des sommes collectées, soit une facture de 700 millions d’euros à 2 milliards par an. Et ce chiffrage était fait en simplifiant au maximum le process, avec des «tiers payeurs» se contentant d’appliquer un taux d’imposition communiqué par les pouvoirs publics.
En effet, les logiciels de paie ou les chaînes de traitements bancaires n’intègrent pas la totalité des informations nécessaires au calcul de l’impôt sur le revenu. Adaptés à des calculs simples, ils ignorent des spécificités comme la composition des ménages, les charges déductibles ou les réductions et crédits d’impôt. Autant de complexités qui risquent de générer des surcoûts massifs.
À ce stade, on ne sait pas qui, des employeurs ou des banques, serait censé prendre à sa charge le prélèvement à la source, et le surcoût que cela engendrera. C’est peu rassurant. La décision de prélever les revenus à la source semble avoir été prise sans évaluation précise des coûts.
L’expérience récente montre que toute une série de projets récents, censés générer des économies se sont avérés des gouffres financiers pour le contribuable. On se souvient que depuis 2012, la comptabilité de l’État a basculé dans «Chorus», un logiciel qui a coûté 500 millions de plus que prévu. L’année suivante, le ministre de la Défense décidait d’abandonner à terme le logiciel de paie «Louvois», après 460 millions de dérapages. Toujours en 2013, la cour des comptes estimait que le Dossier médical personnel (DMP) avait conduit à dépenser un demi-milliard en pure perte. L’an dernier, une réunion interministérielle entérinait l’abandon du projet de refonte du circuit de paie des agents de l’État. Ce programme, dit ONP, visait à rationaliser la gestion de la paie de 2,7 millions d’agents publics, avec à la clef une facture de 346 millions pour le contribuable.
Et quid des gains attendus du prélèvement à la source ? Vu de l’administration, ils seraient minimes. Selon le un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de 2012, l’économie serait de l’ordre de 200 équivalents temps plein, soit environ 12 millions d’euros par an. Mais ce chiffrage ne tient pas comptes des surcoûts pour l’administration fiscale, dont la gestion serait complexifiée. Il faudrait contrôler l’activité des «tiers payeurs» et gérer les régularisations à procéder pour le comptes des ménages ayant trop payé ou pas assez payé. In fine, il y a matière à s’interroger sur l’intérêt de cette nouveauté. Le prélèvement à la source est déjà majoritaire en France, en raison de l’importance des charges sociales, de la CSG et CRDS. Le traitement de l’impôt sur le revenu, qui ne concerne qu’une partie des ménages, est déjà largement «optimisé». Les déclarations sont déjà préremplies, 70% des contribuables sont mensualisés. Le taux de recouvrement est de l’ordre de 99%, quasiment autant que pour les charges sociales. Dans ces conditions, pourquoi changer le mode de prélèvement de l’impôt sur le revenu?
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.