Quelques principes de souveraineté budgétaire?
Texte d’opinion publié dans La Revue Parlementaire – Octobre 2015.
Le feuilleton grec des derniers mois a été l’occasion de débats passionnés sur l’opportunité de mener des politiques budgétaires d’austérité au sein des pays de la zone Euro, et en France, en particulier, où elles sont très contestées. Pourtant, il est temps d’en finir une bonne fois pour toute avec l’idée selon laquelle il suffirait à un pays surendetté membre de l’Euro de reprendre pleine possession de sa souveraineté budgétaire pour s’en sortir. L’Euro a seulement « bon dos » et constitue un bouc émissaire idéal !
La souveraineté budgétaire : un mythe ?
L’idée que les États sont souverains absolus en matière budgétaire est un mythe entretenu sans doute par les hommes politiques au pouvoir et sanctuarisée par la théorie Keynésienne pour leur plus grande satisfaction. En réalité, la souveraineté budgétaire est contrainte par la capacité de financement des États. Elle est elle-même dépendante du degré de souveraineté monétaire de l’État en question. Lorsqu’un gouvernement décide d’augmenter les dépenses publiques, il est confronté à deux situations. Soit les dépenses publiques « s’autofinancent » par l’augmentation des recettes fiscales. Dans ce cas, le problème disparaît. Soit les recettes fiscales sont insuffisantes et le déficit en résultant doit trouver un mode de financement. Plusieurs options sont alors possibles. Elles sont essentiellement fonction du système monétaire dans lequel l’État s’insère, du statut international de la monnaie qu’il émet et de la préférence des investisseurs nationaux. Deux cas de figure peuvent être identifiés.
1- Système de changes flottants : une souveraineté monétaire en soutien de la souveraineté budgétaire
Lorsque le pays appartient à un régime de changes flottants, sa souveraineté monétaire peut lui permettre d’accompagner dans une certaine mesure ses choix budgétaires. En effet, dans ce cas l’État peut « monétiser » sa dette grâce à l’intervention de la banque centrale.
Dans un passé assez récent, cette monétisation pouvait être directe. La banque centrale finançait directement les États à travers des lignes de prêts à des taux favorables voire à taux zéro dans certains cas. Ce fut le cas en France dès la création de la Banque de France jusqu’à la loi du 3 janvier 1973 surnommée la loi Pompidou-Giscard. Cette dernière précise les conditions autorisant l’État à emprunter à la Banque de France et limite de fait le financement direct à taux quasi nul.
À l’époque de la royauté où très peu de banques centrales existaient, les rois n’hésitaient pas à dévaloriser le contenu or de leur monnaie, substituant l’or par le cuivre.
Dans nos économies modernes, la monétisation est plus subtile. La banque centrale ne prête plus directement à l’État mais « indirectement » par l’intermédiaire des banques commerciales.
Dans le cadre de la politique monétaire, la banque centrale mène des opérations d’open market au cours desquelles les banques commerciales se refinancent auprès d’elle en mettant en pension ou en vendant des titres éligibles, en particulier les titres souverains. Aux États-Unis, à partir de 2008, la monétisation de la dette a trouvé une nouvelle expression à travers la politique de Quantitative Easing. En effet, dans un contexte de taux d’intérêt 0, la Fed a grandement facilité l’émission de bons du Trésor américain en achetant 80 milliards de dollars de titres souverains tous les mois pendant plusieurs années.
Cette apparente souveraineté budgétaire n’est pourtant pas sans limite. La première limite est posée par la capacité d’absorption des marchés. Si les États-Unis ont pu mener cette politique sans être inquiétés, c’est parce que les opérateurs sur les marchés financiers restent confiants dans la capacité de remboursement du pays. En outre, le dollar étant toujours la monnaie internationale dominante et les marchés financiers américains restant très attractifs, la demande de titres souverains américains demeure élevée. Dernière limite à la stratégie de monétisation de la dette : le risque d’inflation. L’inflation a souvent été le prix à payer dans le passé des épisodes de fort endettement de l’État. Aujourd’hui il semblerait que ce risque soit écarté, tout du moins en apparence. En effet, aux États-Unis comme en Europe, les indices d’inflation mesurés à la fois à la consommation comme à la production restent à des niveaux faibles, proches encore dans certaines zones de la déflation. Cette apparente disparition de l’inflation est sans doute liée aux canaux de transmission de la politique monétaire. Les politiques de Quantitative Easing ont comme premier effet de soutenir la liquidité des marchés monétaires et par effet ricochet des marchés financiers. Si l’inflation traditionnelle est absente, elle s’est sans doute transformée en bulle sur les marchés financiers.
Reste que cette forme moderne de monétisation de la dette n’est possible que parce que les opérateurs sur les marchés sont demandeurs de ces titres, qu’ils soient libellés en dollar, en Euros ou bien encore en Livre Sterling. Il faut donc que les marchés de la dette souveraine soient attractifs et les titres émis libellés dans une monnaie elle-même attractive. Tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Pour finir, il faut nuancer le propos dans le cas du Japon où la dette qui dépasse le niveau de celui de la Grèce par exemple, est essentiellement détenue par les résidents.
En résumé, la souveraineté budgétaire va de pair avec la souveraineté monétaire et ne vaut que parce que les acteurs économiques jugent crédible la soutenabilité de la dette.
2- Système de changes fixes : une souveraineté budgétaire contrainte par l’absence de souveraineté monétaire
Qu’en est-il dans un système de taux de changes fixes et a fortiori dans le cas d’une monnaie unique qui n’est qu’une forme de changes fixes irrévocables ? À partir du moment où des monnaies sont liées entre elles, soit de manière révocable, soit de manière irrévocable, les politiques monétaires des pays membres ne sont désormais plus indépendantes les unes des autres. Des divergences récurrentes de politique monétaire se traduisent par des crises de change régulières comme celles qu’on a pu connaître du temps du Système monétaire européen (SME). Il est illusoire de penser que dans un système de changes fixes la souveraineté monétaire continue d’exister. La souveraineté est de fait gérée au niveau collectif et ceci est encore plus vrai dans le cadre d’une monnaie commune. La souveraineté monétaire de chaque pays membre de la zone Euro a ainsi été transférée au niveau de l’Eurosystème qui prend les décisions de politique monétaire en accord avec le mandat qui lui a été confié. Dans une telle perspective, la marge de manœuvre de chaque État membre en matière budgétaire est réduite étant donné que l’arme ultime de financement des déficits – à savoir la monétisation de la dette n’est plus de son ressort. Aujourd’hui, même si le programme de Quantitative Easing de Mario Draghi et les opérations de refinancement à long terme qui ont précédé sont une forme de monétisation de la dette, aucun État membre ne peut directement contrôler cette décision. Dans le meilleur des cas, il peut l’influencer.
Pourquoi la dérive Grecque ?
Compte tenu des principes énoncés, comment se fait-il que la Grèce ait pu dériver financièrement puisqu’en théorie, la souveraineté budgétaire n’est plus de mise dans le cadre d’une monnaie commune. C’était sans compter sur les externalités positives générées par la création d’une monnaie unique et le manque d’expérience des opérateurs de marché. La Grèce partage une monnaie commune dont la réputation a essentiellement reposé sur le rôle de leader joué par l’Allemagne qui n’a jamais failli à sa réputation en matière de rigueur monétaire. Les dérapages grecs ont été possibles car les investisseurs ont considéré que la zone Euro était un tout homogène. Qu’on se le dise une fois pour toute, la souveraineté budgétaire n’existe pas plus que la souveraineté monétaire au sein d’une monnaie commune. Les Grecs risquent de l’apprendre au prix fort. Il est urgent que les hommes politiques à la tête des pays de la zone Euro expliquent clairement ces principes économiques à leurs électeurs. Cela évitera les confusions, les désillusions et peut-être les mesures malavisées.
Nathalie Janson est chercheure associée à l’Institut économique Molinari.