Cécile Philippe à propos du principe de précaution
Interview publiée le 23 novembre 2015 sur le site de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP).
Le principe de précaution « à la française » est-il un moyen pertinent de gérer les risques sociétaux, notamment sanitaires ? Qu’est ce qui pose problème : le principe ou son application restrictive ?
Le principe de précaution (PP) ne peut pas constituer un moyen pertinent de gérer le risque parce qu’il ne pose pas les bonnes questions. En effet, l’innovation scientifique ne prétend pas à la perfection. Notre seul souci doit être de savoir si elle engendre effectivement une situation moins problématique que celle qui l’a précédée. À l’inverse, le principe de précaution, fondé sur le risque zéro et n’ayant que l’apparence du bon sens, interdit de facto l’émergence de modes d’action meilleurs ou moins nocifs, par exemple les applications de la chimie et de la biotechnologie aux systèmes agricoles, et comporte donc un coût élevé aux plans social, environnemental et économique.
De plus, il est devenu une sorte de « passe-partout ». Il justifie l’intervention des pouvoirs publics même quand cela n’est pas scientifiquement fondé et que le risque pour l’environnement est inexistant. Ainsi des produits de tous les jours ont été visés, tels que des « cornflakes » fortifiés en vitamines (Norvège), des jus de fruit avec ajout de vitamine C (Danemark), des boissons énergisantes (France) ou encore la cigarette électronique.
Comment et dans quel cadre juridique pourrait-on réécrire le principe de précaution, afin qu’il constitue davantage un levier et moins un frein à l’innovation ?
Lors de mon audition à l’Assemblé nationale sur le principe de précaution il y a tout juste un an, j’ai formulé les propositions suivantes :
– Comme le risque zéro n’existe pas, il faut reporter l’analyse du risque lié à une innovation sur l’usage qu’on en fait.
– Privilégier une approche qui vise à déterminer si l’usage d’une nouvelle technologie engendre une situation moins risquée ou moins nocive, à savoir un meilleur mode d’action par rapport au problème considéré.
– Adopter par conséquence une approche comparative par rapport aux situations existantes et aux problèmes qu’une technologie est supposée régler.
– Adopter des politiques fondées sur des données scientifiques fiables, applicables et contrôlables.
Comment faire accepter les arbitrages de risques vs. bénéfices pour une population de plus en plus défiante envers les autorités nationales et communautaires ?
Le problème de défiance vis-à-vis des autorités dépasse largement le problème de l’arbitrage des risques. Il est le fait de sociétés incapables de se réformer. Conformément au projet que je mène depuis un peu plus de 10 ans, je crois qu’il faut des voix, des instituts de recherche, des associations de consommateurs indépendants pour susciter le débat, interroger, analyser et faire progresser le niveau de compréhension que les gens ont de tous ces sujets complexes. C’est cela qui permettra de réformer des institutions qui aujourd’hui manquent d’autorité.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.