La fiscalité des entreprises : un stigmate français
Texte d’opinion publié le 7 décembre 2015 dans Le Temps.
La France peine à réactiver l’investissement privé. La crise de 2008 ne peut plus constituer à elle seule une raison du ralentissement de l’activité en France puisque nos principaux partenaires commerciaux arrivent à de meilleurs résultats. Force est donc de se pencher sur les cause structurelles de ce manque de dynamisme français. En particulier, il faut comprendre les conséquences du choc fiscal opéré par le gouvernement en 2012 qui a renforcé la principale entrave structurelle à la reprise et à la croissance : la fiscalité qui pèse sur les sociétés. Alors que le parlement vient de voter la loi de financement pour 2016, on ne voit pas d’embellie à l’horizon.
Quand on parle de la fiscalité des entreprises, il faut inclure toutes les charges fiscales et sociales qui pèse sur l’activité productive depuis son financement jusqu’à ses ventes. Cela inclut non seulement l’impôt sur les bénéfices et les cotisations patronales, mais aussi les impôts fonciers et toutes les taxes qui pèsent sur les actionnaires et les créditeurs de l’entreprise. Ainsi, la fiscalité d’une PME française peut atteindre en moyenne 62,7% de ses bénéfices nets selon une étude récente de PricewaterhouseCoopers. À titre de comparaison, la moyenne européenne est de 40,6%, légèrement meilleure que la moyenne mondiale qui se situe à 40,8%. Si on ajoute à cela la fiscalité pesant sur les actionnaires et les créditeurs, alors leur fardeau fiscal peut facilement atteindre le plafond légal de 70%.
Or, on ignore souvent que la fiscalité sur les entreprises a un impact sur l’emploi et les salaires. En effet, les impôts sur les sociétés et sur l’actionnariat réduisent le capital disponible pour investir et construire des structures plus larges et productives. Ceci conduit à un ralentissement de l’accumulation de capital dans l’économie – c’est-à-dire du développement des équipements, des structures et des connaissances propices à la productivité ayant pour conséquence une amélioration du pouvoir d’achat pour les investisseurs et les employés. Les cotisations patronales et salariales exacerbent le problème parce qu’elles rendent l’emploi trop coûteux pour les entreprises.
La fiscalité française – lourde et complexe – dissuade, en outre, les investisseurs étrangers, fait fuir les investisseurs nationaux, freine l’entrepreneuriat et entraîne des pertes sèches du fait du coût de la conformité fiscale et de l’évitement fiscal. La mise en œuvre du CICE – programme conçu pour encourager la compétitivité et l’emploi en permettant une réduction des cotisations patronales – est insuffisante à contrecarrer les effets de la lourdeur de ce fardeau fiscal. Celui-ci ne porte, en effet, que sur des entreprises qui augmentent activement leur main-d’œuvre, autrement dit des entreprises en croissance. Or l’économie française stagne, les entreprises en difficulté ne peuvent donc pas se permettre de créer des emplois et doivent acquitter des cotisations sociales à taux plein.
Le fait est que les entreprises sont à l’origine de la plupart des revenus distribués dans l’économie. Les bénéfices sont le signe qu’une entreprise a généré plus de richesse que ce qui est nécessaire à la production. Ceci se traduit par l’enrichissement de tous les agents intégrés à l’entreprise, qu’ils soient actionnaires, créditeurs ou salariés. Les actionnaires reçoivent des dividendes et les employés peuvent obtenir des augmentations sous la forme de participation aux bénéfices. Le bénéfice qu’une entreprise choisit de conserver en épargne implique des investissements futurs qui génèrent de nouveaux flux de revenus pour les employés actuels et futurs. Toute fiscalité excessive sur les entreprises représente une entrave à cette création de richesse.
Ceci ne veut pas dire pour autant que le fardeau fiscal pesant sur les entreprises doit être transféré aux consommateurs. Ce transfert pourrait s’avérer problématique à cause de l’imposition déjà importante de la consommation en France. En effet, toute imposition sur la consommation revient à augmenter les prix des biens et donc à réduire le revenu disponible des consommateurs. Cela se traduirait donc par une imposition indirecte sur le capital parce que les consommateurs disposeraient de moins pour épargner.
Les marchés des entreprises françaises ne se limitent plus aux seuls marchés locaux. La mondialisation des marchés des capitaux et de la consommation rend les entreprises de plus en plus mobiles. Pour éviter une réduction accrue de l’investissement en France, il est impératif a minima d’aligner la fiscalité française sur la fiscalité européenne. Nous parlons là d’un effort de plus 30% de la fiscalité globale pesant sur les entreprises. Cet effort appelle le gouvernement à ses responsabilités budgétaires et à des réformes structurelles d’envergure pour éviter une baisse marquée des recettes fiscales.
Gabriel A. Giménez Roche est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et professeur associé d’économie au Groupe ESC Troyes.