La voie sans issue de la politique monétaire
Texte d’opinion publié le 30 décembre 2015 dans La Tribune.
L’actualité économique mondiale est paradoxale. Au Japon, le chômage baisse, mais la croissance ne reprend pas. La croissance est présente aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais elle dépasse difficilement les 2% par an en dépit de la baisse du chômage. La reprise en Europe est mitigée. Visible mais timide dans l’Europe du Nord, elle est hésitante dans l’Europe du Sud, et absente en France. La stagnation semble être la règle partout.
Autre point commun : la politique monétaire en vigueur en parfaite conformité avec les décisions récentes du gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE) à savoir des injections massives de liquidité, un taux d’intérêt en-dessous de 1%, des rachats importants d’actifs financiers par les banques centrales. Après la crise financière de 2008, tout a été mis en place pour renflouer les banques et remettre en route la création de crédit. L’assouplissement quantitatif est devenu le nouveau mantra des banques centrales. Et pourtant, le crédit peine à reprendre dans les grandes économies mondiales. Il reste bien en-dessous des niveaux d’avant la crise.
Une très faible demande de crédit
Certes, les nouvelles règles de Bâle III imposent aux banques un certain conservatisme au moment d’accorder des crédits. En outre, du fait des taux d’intérêt bas, les banques sont devenues plus exigeantes à l’égard de leurs débiteurs potentiels. Cela ne peut cependant pas tout expliquer car les entreprises saines ne cherchent pas non plus à s’endetter massivement auprès des banques. L’écart entre les taux de refinancement des banques et les taux accordés au public n’a jamais été aussi bas de même que l’écart entre les taux de court et long termes. Ceci n’est pas le symptôme d’un credit crunch, mais plutôt d’une demande mondiale très faible pour le crédit.
Les entreprises endettées
Si l’augmentation des dépenses publiques lors de la crise et le surendettement massif des gouvernements dans toutes les économies développées a évité une banqueroute majeure de l’économie, cela n’a pas permis la reprise. Alors d’où vient le problème ? L’analyse des bilans des entreprises nous offre une bonne piste. En effet, la crise a fortement dévalué les actifs des entreprises qui doivent encore rembourser d’énormes dettes. Leurs actifs ont été dévalués, leurs profits ont diminué mais leurs opérations restent suffisamment rentables pour survivre.
Surendettées et sans grandes opportunités à exploiter, les entreprises se désendettent. Au lieu d’investir et prendre des risques, elles préfèrent assainir leurs bilans. Les entreprises investissent seulement quand elles disposent suffisamment de capitaux propres ou quand l’évaluation de leurs actifs est suffisamment solide pour garantir un endettement supplémentaire. Depuis 2008, nombre d’entreprises ont découvert qu’elles ne remplissaient ni l’une ni l’autre des conditions.
Inciter à investir
Les banques centrales se rendent probablement compte du problème et tentent en vain de les inciter à investir. Les assouplissements monétaires menés aujourd’hui dans les principales économies mondiales ne visent plus à sauver des banques, déjà bien renflouées, mais à soutenir les prix des actifs financiers. L’idée est que si la valeur des actifs est élevée, les entreprises cesseront de chercher à se désendetter et recommenceront à investir.
Les investisseurs ne sont cependant pas dupes et savent très bien que les cours des marchés financiers sont aujourd’hui intimement dépendants des politiques monétaires généreuses des banques centrales. Comment expliquer sinon que les marchés d’actions soient aussi florissants alors que les taux de croissance dépassent rarement les 2% ? Si, après beaucoup d’hésitations, la Fed a très légèrement augmenté son taux directeur, c’est parce qu’elle craint une reprise du désendettement. Il faudra attendre encore longtemps avant d’atteindre un taux de 1% ou plus.
Aucune reprise à l’horizon dans les pays comme la France
La croissance timide que nous observons aujourd’hui vient de ce que quelques entreprises saines ont bien résisté à la crise et investissent enregistrant ainsi de bons résultats. Les innovations technologiques aident également à baisser les coûts et à améliorer leurs résultats. Cette légère croissance ne reste cependant le fait que des économies flexibles. Les pays comme la France ne voient aucune reprise à l’horizon du fait de leur rigidité. Les déficits publics peuvent aider à maintenir l’économie à flot, mais ils déplacent le problème vers le futur.
Les entreprises qui deviennent dépendantes de l’État ne sauront pas survivre sans lui, désendettement ou pas. L’endettement public devient alors inévitable et les taux bas incitent les gouvernements au surendettement. La BCE reconnait que la politique monétaire est insuffisante et que seules des réformes structurelles pourront relancer la croissance. Autrement dit, il est devenu crucial de mener les réformes nécessaires à une grande flexibilisation de nos économies afin d’accélérer le désendettement et favoriser une reprise de l’investissement. Le cas échéant, on ne pourra pas éviter une japonisation de nos économies et des décennies de stagnation.
Gabriel A. Giménez-Roche est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.