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Comprendre l’économie : Léon Walras – Le fondateur de l’économie néoclassique

Texte d’opinion et extraits publiés dans l’édition mars-avril 2016 du Point Références.

Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx, John Maynard Keynes … Le Point Références vous présente les textes de ceux qui ont le plus influencé la pensée économique. Comment fonctionne cette étrange mécanique qu’on appelle le marché ? Vous le découvrirez dans cet ouvrage qui analyse les grands principes économiques.

Qui a inventé la théorie de la monnaie ? Quel est l’économiste qui a mathématisé l’utilité marginale ? Qu’est-ce que la main invisible d’Adam Smith ? Quel économiste a fait adopter le libre échange à la Grande Bretagne ? Autant de questions auxquelles répond cet hors-série, à travers l’analyse des textes fondateurs, analyse qui vous aidera à comprendre comment s’est construite la science économique.

28 textes commentés, la participation de Gilbert Cette, Daniel Cohen, François Bourguignon … Retrouvez l’essentiel de la pensée de l’Economie dans ce hors-série du Point.


Léon Walras – Eléments d’économie politique pure et la naissance de l’économie néoclassique moderne

Dans sa monumentale Histoire de l’analyse économique, l’économiste Autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950) considérait Walras le plus grand de tous les économistes. Une reconnaissance extraordinaire pour un économiste dont la contribution était plus méthodologique que fondamentalement théorique.
En 1871, William Stanley Jevons (1835-1882) en Grande Bretagne et Cal Menger (1840-1921) en Autriche décrivent explicitement chacun de leur côté comment les valeurs marchandes des biens dépendent directement des évaluations subjectives qu’en font les consommateurs. Ils utilisent pour cela les concepts de rareté et d’utilité et fondent ce que l’on appelle la théorie de la valeur marginale : c’est en effet l’utilité marginale d’un bien – c’est-à-dire, l’utilité de l’unité ou de la quantité utilisée d’un bien – et non celle de tout son stock qui détermine sa valeur de marché, c’est-à-dire le prix que le consommateur est prêt à payer pour l’obtenir. Avant Jevons et Menger, les économistes classiques expliquaient les prix des biens par leurs coûts de production. Cette approche posait cependant problème puisqu’elle n’expliquait pas la divergence qui pouvait exister entre les prix souhaités par les producteurs et ceux effectivement payés par les consommateurs. Autrement dit, les économistes classiques étaient incapables d’expliquer l’occurrence des pertes.

Jevons se distinguait de Menger par sa volonté de faire de l’économie une science comparable à la physique, à savoir mathématisée. Reste que la démonstration de Jevons se limitait au cas d’un équilibre entre l’offre et la demande de deux biens. Quatre ans plus tard, le Français Marie Esprit Léon Walras (1834-1910) va plus loin en trouvant une solution d’équilibre général pour plusieurs biens, ce qu’il démontre dans son livre-phare, Éléments d’économie politique pure. Ainsi, il conforte en lui donnant une base mathématique ce que disaient Adam Smith (px) et Jean-Baptiste Say (px), à savoir qu’en l’absence de monopoles* comme de monopsones*, le marché assure une allocation efficace des ressources quand les individus ont une information parfaite sur les prix et les quantités disponibles des biens. Ainsi démontré, le principe de la maximisation (minimisation) des recettes (coûts) par des agents parfaitement rationnels et complètement informés deviendra l’un des fondements de ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie néoclassique. Et Walras apparaîtra comme son fondateur. À la différence de Jevons en effet, il a fait école. Son disciple Vilfredo Pareto (1848-1923) hérita de sa chaire à l’Université de Lausanne et eut une influence majeure en Italie. Il consolida le système walrasien par une analyse du bien-être social qui, encore aujourd’hui, fait une partie intégrante de l’école néoclassique. Tout comme ses disciples, Walras fut pourtant largement ignoré à son époque, les économistes politiques alors dominants considérant comme trop abstrait son exposé très mathématisé. En outre, on ne disposait pas encore alors d’outils et de bases statistiques suffisamment robustes pour donner du sens au système walrasien.

C’est seulement avec la légitimation de la planification économique dans les années 1930 que son héritage fut redécouvert et qu’il s’imposa comme le mainstream économique qu’il est encore de nos jours. De fait, la démonstration de l’équilibre général walrasien nécessite un État car dans un vrai marché, les agents ne disposent évidemment pas d’une information complète, d’où un déséquilibre entre offre et demande qui exige l’intervention de l’État pour le corriger et rendre le marché effectivement parfait. John Hicks (px), Oskar Lange (1904-1965), Maurice Allais (1911-2010) et Paul Samuelson (1915-2009) essaieront par la suite d’élargir le système walrasien en donnant un rôle plus ou moins correcteur à l’État, mais sans le remettre en cause.

Aujourd’hui, les bases de ce courant d’économie d’inspiration néo-walrasienne, en particulier les hypothèses de rationalité parfaite et d’information complète, sont, à raison, remises en cause. Ces erreurs avaient été évitées par Carl Menger dont le raisonnement reste d’actualité. Ses agents sont créatifs, imparfaits et incomplètement informés, ce qui rend toute idée d’équilibre général superflue.

Gabriel A. Giménez Roche est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et professeur associé au Groupe ESC Troyes en Champagne.


3me LEÇON : De la richesse sociale. Triple conséquence de la rareté. Du fait de la valeur d’échange et de l’économie politique pure.

J’appelle richesse sociale l’ensemble des choses matérielles ou immatérielles (car la matérialité ou l’immatérialité des choses n’importe ici en aucune manière) qui sont rares, c’est-à-dire qui, d’une part, nous sont utiles, et qui, d’autre part, n’existent à notre, disposition qu’en quantité limitée.

[…] Je dis que Ies choses sont utiles dès qu’elles peuvent servir à un usage quelconque, dès qu’elles répondent à un besoin quelconque et en permettent la satisfaction. Ainsi, il n’y a pas à s’occuper ici des nuances par lesquelles on classe, dans le langage de la conversation courante, l’utile à côté de l’agréable entre le nécessaire et le superflu. […]. Il n’y a pas davantage à tenir compte ici de la moralité ou de l’immoralité du besoin auquel répond la chose utile et qu’elle permet de satisfaire. […]

Je dis que les choses n’existent à notre disposition qu’en quantité limitée du moment où elles n’existent pas en quantité telle que chacun de nous en trouve à sa portée a discrétion pour satisfaire entièrement le besoin qu’il en a. Il y a dans le monde un certain nombre d’utilités qui lorsqu’elles ne manquent pas totalement, existent à notre disposition en quantité illimitée. […] […]. Or le fait de la limitation de la quantité des choses utiles qui les rend rares à trois conséquences.

1° Les choses utiles limitées en quantité sont appropriables. […]

2° Les choses utiles limitées en quantité sont valables et échangeables, comme nous venons de l’entrevoir. Les choses rares étant une fois appropriées (et celles-là seules le sont, et toutes celles-là le sont), il s’établit entre toutes ces choses un rapport consistant en ceci que, indépendamment de l’utilité directe qui lui est propre, chacune d’elles acquiert, comme une propriété spéciale, la faculté de s’échanger contre chacune des autres dans telle ou telle proportion déterminée […]. Tel est le fait de la valeur d’échange qui comme le fait de la propriété, ne porte que sur la richesse sociale et porte sur toute la richesse sociale.

3° Les choses utiles limitées en quantité sont industriellement productibles ou multipliables. […]

La valeur d’échange est donc une grandeur et, on peut le voir dès à présent, une grandeur appréciable. Et si les mathématiques en général ont pour objet l’étude des grandeurs de ce genre, il est certain qu’il y a une branche des mathématiques, oubliée jusqu’ici par les mathématiciens, et non encore élaborée, qui est la théorie de la valeur d’échange.

Je ne dis pas, on le sait déjà suffisamment, que cette science soit toute l’économie politique. Les forces, les vitesses sont, elles aussi, des grandeurs appréciables, et la théorie mathématique des forces et des vitesses n’est pas toute la mécanique. Il est toutefois certain que cette mécanique pure doit précéder la mécanique appliquée. De même il y a une économie politique pure qui doit précéder l’économie politique appliquée, et cette économie politique pure est une science tout à fait semblable aux sciences physico-mathématiques. […]

Si l’économie politique pure, ou la théorie de la valeur d’échange et de l’échange, c’est-à-dire la théorie de la richesse sociale considérée en elle-même, est, comme la mécanique, comme l’hydraulique, une science physico-mathématique, elle ne doit pas craindre d’employer la méthode et le langage des mathématiques.

La méthode mathématique n’est pas la méthode expérimentale, c’est la méthode rationnelle.

Léon Walras, Éléments d’économie pure, ou théorie de la richesse sociale, R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1926.

Gabriel A. Giménez-Roche

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