Prix des médicaments innovants : osons la concurrence !
Texte d’opinion publié le 25 novembre dans Les Échos.
Après sa campagne choc contre le prix des médicaments, Médecins du monde a signé un nouveau succès le 5 octobre dernier en obtenant la révocation partielle du brevet de Gilead sur le Sovaldi, médicament soignant l’hépatite C pour un traitement coûtant plus de 41 000 euros à la Sécurité sociale. Qu’en penser ?
Depuis plusieurs mois, la grogne à l’égard des laboratoires pharmaceutiques ne cesse d’enfler au motif que ces derniers imposeraient des prix révoltants sur leurs médicaments innovants, mettant en danger les finances de l’Assurance-maladie et interdisant aux bourses les plus faibles de jouir des progrès thérapeutiques.
Or, du point de vue économique, cette argumentation est tronquée. En effet, le chiffre d’affaires, certes colossal, des laboratoires innovants doit être mis en perspective avec les délais et les coûts de recherche et développement nécessaires à la production des nouvelles molécules. De la découverte d’une molécule prometteuse à sa mise sur le marché, il s’écoule en moyenne douze années au cours desquelles les échecs seront la règle. Ainsi, sur 10.000 molécules criblées, une seule sera commercialisée.
En outre, plus le nombre de maladies soignées augmente, plus il est difficile de trouver des remèdes aux maladies restantes, car elles sont, par définition, les pathologies les plus complexes, nécessitant des traitements de plus en plus individualisés. En conséquence, les investissements en R&D des laboratoires ont augmenté de 22 % en sept ans sans pour autant accroître le nombre de médicaments commercialisés. Autrement dit, les laboratoires font face à des rendements décroissants qui impliquent un risque supplémentaire, pour ces derniers autant que pour leurs investisseurs. Et, dans un marché concurrentiel et global, les laboratoires doivent attirer des fonds pour financer leur R&D. En effet, le coût de développement d’une nouvelle molécule s’élève à près de 4,3 milliards et 99 % de ces fonds proviennent d’investisseurs privés. Aussi, lorsqu’un médicament innovant est commercialisé, les laboratoires n’ont d’autre choix que de récompenser les investisseurs patients qui ont supporté les risques, sans quoi ces derniers cesseraient d’investir, ce qui réduirait d’autant la découverte de nouvelles molécules.
Une erreur des opposants aux laboratoires est de passer sous silence ces mécanismes économiques du secteur. En effet, en tenant compte des coûts de R&D, le retour sur investissement du secteur – 8 % en moyenne – se révèle comparable à l’ensemble des autres secteurs et plus faible que celui du commerce de détail (14 %).
Mais l’erreur fondamentale est ailleurs et tient à la méconnaissance des mécanismes institutionnels de fixation des prix. En France, comme dans de nombreux pays, les prix des médicaments innovants sont très largement réglementés. Pour être commercialisé, un médicament innovant doit être autorisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, après quoi son taux de remboursement et son prix seront déterminés respectivement par l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie et le Comité économique des produits de santé. De plus, en cas de dépassement du chiffre d’affaires réalisé par la molécule innovante tel qu’il était prévu et défini par les pouvoirs publics, le laboratoire devra contribuer aux dépenses publiques que la molécule a engendrées.
Dans ce contexte de monopole de la fixation des prix, il est impossible de juger du niveau des prix, sauf à considérer que les pouvoirs publics sont omniscients. Pour connaître le prix des médicaments innovants, il faudrait les soumettre au jugement impartial du marché, c’est-à-dire à la pression des assureurs, qui, en concurrence les uns avec les autres, seraient à même de négocier avec les laboratoires jusqu’à révéler un prix des médicaments simultanément rentable pour les laboratoires et accessible au plus grand nombre. C’est une réalité économique : les opposants aux laboratoires devraient réclamer de la concurrence.
Pierre Bentata est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et l’auteur de « Médicaments innovants : les prix sont-ils trop élevés ?«