Les dangers d’une harmonisation fiscale européenne sur les sociétés
Texte d’opinion publié en exclusivité sur le site de l’Institut économique Molinari.
Les récentes affaires d’évasion fiscale ont remis l’harmonisation des régimes d’imposition au centre de l’agenda politique. C’est dans ce contexte que la Commission européenne s’attaque à une concurrence accusée de distordre le marché intérieur même si son action semble mesurée en apparence : sa proposition de directive émise en Octobre dernier se cantonne à une définition commune de l’assiette pour l’imposition des sociétés.
La fiscalité constitue un domaine sensible et c’est pourquoi la Commission insiste sur le respect de la subsidiarité. Elle rappelle que la détermination des taux est exclue de sa démarche. Il est cependant difficile de ne pas voir en l’harmonisation de l’assiette les prémices d’une fiscalité plus centralisée.
Harmoniser l’impôt sur les sociétés se heurtait jusqu’ici à une double difficulté. Le principe de l’unanimité des États qui régit la matière fiscale freinait toute initiative. Les particularismes nationaux rendaient quant à eux la coordination des régimes fiscaux difficile.
Se contenter d’agir « seulement » sur l’assiette aurait donc aux yeux Bruxelles l’avantage de vaincre les dernières réticences. La Commission peut ainsi vanter une action proportionnelle tout en rendant une future fiscalité supranationale plus probable. Une fois l’assiette harmonisée, il sera plus facile pour l’Union européenne de légiférer sur les taux, ne serait-ce qu’en déterminant une fourchette comme c’est déjà le cas pour la TVA. Après tout, Bruxelles ne cache pas sa volonté de réduire les pratiques d’optimisation des entreprises qui prospèrent aujourd’hui sur une concurrence fiscale jugée nocive.
Mais discuter de l’opportunité d’harmoniser l’impôt sur les sociétés requiert en premier lieu de clarifier les termes du débat en cernant l’impact de ce régime d’imposition sur l’économie.
Soulignons d’abord qu’il n’existe pas d’impôt sur les sociétés en tant que tel. On peut en effet considérer les sociétés comme des fictions juridiques destinées à réduire les coûts de transaction entre individus. In fine, ce sont toujours ces derniers qui supportent le poids de l’impôt, qu’ils soient actionnaires, salariés ou consommateurs. Les sociétés se contentent de répercuter leurs charges sur ces personnes selon des proportions qui varient en fonction des équilibres de marché.
La fiscalité sur les entreprises affecte donc directement les travailleurs et les actionnaires qui voient respectivement leurs salaires et leurs dividendes diminuer tandis que les consommateurs subissent une hausse des prix. En affaiblissant la rentabilité de tous ces échanges, l’impôt sur les sociétés dégrade les incitations à entreprendre, à innover, à épargner et à investir. Ceci est d’autant plus vrai que le travailleur, l’actionnaire et le consommateur constituent parfois une seule et même personne.
Or réduire les investissements et l’activité entrepreneuriale ralentit l’accumulation de capital et diminue la qualité de la division du travail. La fiscalité sur les entreprises étouffe donc la productivité, pèse sur la progression des salaires et entrave la capacité des entreprises à délivrer des produits de qualité au moindre coût. Elle aboutit finalement à une croissance économique plus faible.
C’est pourquoi la sobriété des régimes d’imposition est primordiale pour favoriser la production globale de richesses et le recul de la pauvreté. C’est précisément l’intérêt de la fragmentation des régimes fiscaux.
Elle génère une saine concurrence qui conforte la possibilité pour les entreprises et les individus de choisir leur régime d’imposition. Il est dans ces conditions plus facile de se soustraire d’un environnement défavorable à la création de richesses au profit des juridictions plus respectueuses de celle-ci. La concurrence fiscale permet donc de modérer les charges des contribuables et de sauvegarder la pérennité de l’activité entrepreneuriale en la protégeant des éventuels excès gouvernementaux.
Elle est d’autant plus intéressante sur le plan politique qu’elle favorise l’émulation entre gouvernements en poussant ces derniers à offrir un environnement de qualité pour attirer des entreprises. Les gouvernements sont par ce mécanisme amenés à se soumettre à une certaine discipline qui les oblige à se remettre perpétuellement en question. Que cette concurrence soit principalement décriée par les régimes politiques les moins attractifs n’a donc rien d’étonnant.
Nul doute que l’absence de concurrence réduirait encore plus leurs incitations à offrir un environnement de qualité. Certains seraient alors encore moins enclins à accomplir les réformes structurelles dont le continent a besoin.
Assimiler la concurrence fiscale à une forme de distorsion est donc incorrect. Il serait plus pertinent d’y voir une force au service de la qualité de nos institutions et du dynamisme du marché intérieur.
Le fait que les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques s’élèvent en moyenne respectivement à 40% et 48% du PIB dans l’Union européenne suggère d’ailleurs une discipline budgétaire insuffisante et donc une concurrence fiscale encore trop faible.
Plutôt qu’une harmonisation qui aurait toutes les chances de plonger le vieux continent dans l’immobilisme, ce constat devrait au contraire nous amener à promouvoir une plus grande émulation des politiques fiscales à l’intérieur même des Etats-nations. Autrement dit, il serait plus opportun de discuter d’une plus grande décentralisation des systèmes fiscaux.
Ferghane Azihari est étudiant en droit et science politique. Membre des réseaux Students for Liberty en Europe et Young Voices, il collabore parallèlement pour divers médias et centres de recherche comme l’École de la liberté, Contrepoints et l’Institut économique Molinari.